Le roman annonce, dès son ouverture, un espace à parcourir : « tout a commencé » et la fin comporte l’idée d’un cheminement avec le mot « chemin » : Quand j’ai été assez loin, j’ai beuglé dans le noir pour que reste à jamais, malgré toute ma haine, sur mon chemin, une trace d’amour. Le thème de la nuit (présente, elle aussi, dans le titre : « les chemins noirs » est récurrente dans tout le livre et souligne symboliquement la présence du tragique de l’existence (nuit du cachot, nuit du Monténégro et des trois assassins, nuit de l’ivresse à Istanbul, nuit des urgences à l’hôpital psychiatrique...).
Dès la première page, le personnage principal est confronté à des opposants contre lesquels il devra se construire : « ils m’ont enlevé les menottes ». Ce « ils » désigne la justice qui fait de lui, d’emblée, un marginal, un vagabond de la race des « vagabonds du rail » de Jack London. L’identité de René Brandoli pose problème : malgré lui, le doux rêveur du début, le voyageur solaire en quête de « palmeraies » ou de « pierre brulée » doit endosser le statut de hors la loi et se cacher sous de fausses identités et de faux habits (le vêtement souvent grotesque - l’habit du sous-préfet en Corse - masque la silhouette véritable du fuyard et trahit le manque d’épaisseur du candide devenu assassin en cavale). La hantise du néant hante le personnage qui est dépossédé de lui-même à partir du moment où il est saisi par la justice : c’est le sens qu’on peut donner par exemple à ces quelques lignes d’analyse relatives aux clochards décrits au détour d’une page dans le métro de Paris : Je crus distinguer comme des sacs pleins jetés pêle-mêle (...) C’étaient trois clochards qui dormaient l’un dans l’autre. Je les ai regardés de plus près et j’ai pensé à moi. Qui sait s’ils n’avaient pas commencé comme moi eux aussi jadis ? Entrant dans la vie comme j’étais entré ici, par une porte dérobée des ténèbres. Tout le livre peut se lire comme une reconstruction de l’identité aliénée par le traumatisme du début...