Dans cet autobus qui se dirigeait vers le centre-ville, les conversations s’entremêlaient, s’entrechoquaient, se télescopaient, pour ne plus former qu’un brouhaha inaudible. Deux femmes âgées s’échangeaient des nouvelles de leur santé respectives déclinantes, brocardant au passage l’inefficacité des médicaments, voire même la complicité des médecins dans leur malheur. Ici, deux hommes débattaient sur la médiocrité de jeu du nouvel attaquant acheté à prix d’or par leur équipe de football favorite, avant de dévier leur conversation sur le mariage des pédés puis sur le fait qu’une dénommée « Marine » avait des couilles ce qui ne pouvait être qu’une métaphore bien qu’il n’ait probablement pas ce mot au registre de leur vocabulaire. Devant, un homme d’une cinquantaine d’année, lisait un journal au contenu politique qui n’allait pas de concert avec la discussion des précédents passagers. Au fond, quatre jeunes, bruyants, commentaient grossièrement l’aspect physique de personnes de sexe opposée de leur entourage en les classant en trois catégories : « trop bonne », « baisable » ou « boudin ». Hormis pour les jeunes filles de la troisième catégorie, le classement s’accompagnait de commentaires sur la façon dont ils espéraient les « prendre » voire les « démonter ». Fort heureusement, le peu de finesse dans les propos laissait présager que les projets de « prise » ou de « démontage » resteraient à l’état de fantasme et, dans le meilleur des cas, ne saliraient que leurs draps. Etranger à tout cela, un autre écoutait une musique au moyen d’un appareil portable, deux oreillettes plantées de chaque côté de la tête, et dont on ne distinguait qu’un grésillement synthétique. Un vieil homme, sans doute le plus âgé de l’autobus, regardait à travers la vitre sans se soucier des autres passagers. Une femme lisait un livre. La conversation la plus surprenante fut celle de deux jeunes femmes, à peine plus âgées que les trublions du fonds de l’autobus, échangeant à voix presque basse (mais néanmoins audible pour qui y prêtait attention) leurs expériences en matière de soin du corps et en particularité sur le sujet de l’épilation pubienne, élargissant la discussion au même thème sur la chose mâle.
Hélas, l’auteur, arrivé à destination, descendit de l’autobus sans être en mesure de faire un compte rendu à ses lecteurs.