Alors tout d'abord, l'histoire, telle qu'elle nous fut écrite par le loufoque affabulateur "Václav Hájek z Libočan", dont les élucubrations abracadabrantes (cf. mes nombreuses précédentes publies) endormirent des millions d'enfants tchèques pendant plusieurs siècles, avant l'invention des Teletubbies. Il était une fois, en 1512, 2 gredins malfaisants, chevaliers brigands originaires de par vers le bourg de "Malšín", qui finirent par tomber aux mains de la justice car comme dit l'adage, chaque fumier tâtera un jour de la fourche (diabolique?). Ils furent jugés, et condamnés au pal. Parenthèse. La pratique de l'empalement était courante en Russie, en Roumanie, en Pannonie, en PLogne, et dans les Balkans, mais malgré que les bougres locaux (Bohémiens) fussent friands de tortures soignées (cf. le nombre de musées de la torture en nôtre pays), le supplice du pal ne prit jamais racine en Bohême.
Revenons maintenant aux nuisibles qui furent condamnés au pal. Ils furent donc empalés, mais voilà, croyez-le ou non, une fois planté là, l'un des vauriens réussit à briser son pieu, et à se trainer jusqu'en l'église St Benoît (en haut de la place du Château) soit quelques 100 mètres. Certes, 100 mètres en descente me direz-vous? Ok, mais en rampant à plat ventre un pal planté dans le... enfin là où qu'on plante généralement les pals, moi j'dis que c'est balaise. Notez toutefois que les miracles de la propagande catholique vont souvent à l'encontre de la logique scientifique, et qu'il faut les prendre avec recul et circonspection. Et justement, ben cet exploit (médical?) relève du miracle. Oyez-voir. L'un des vauriens réussit à briser son pieu donc, et à se trainer jusqu'en l'église St Benoît où il implora le prêtre de lui administrer l'extrême onction sans laquelle il ne put mourir (ah ouais?). Tout le long du trajet rampant, il implorait Ste Barbara qui, comme tout le monde sait, prend garde des malheureux susceptibles de mourir inopinément sans avoir été secourus par le saint sacrement catholique. Et c'est grâce aux prières donc, qu'il survécut à son 100 mètres. Une fois confessé, le gredin décéda. Alors "Václav Hájek z Libočan" nous décrit l'affaire cocassement. Les tchécophones (étudiantes généreusement pourvues) apprécieront (n'hésitez pas à m'appeler): "Lapka, odlomiv se z kůlu a doplaziv se ke zmíněnému kostelu, oznámil přivolanému knězi, že bez zpovědi a přijímání svátosti velebné nemůže umřít, neboť se horlivě modlil ke sv. Barboře, která opatruje před náhlou smrtí bez náležitého křesťanského zaopatření. Jakmile kněz odsouzeného zaopatřil, ten ještě téhož dne zemřel".
Maintenant la vraie histoire, parce qu'il ne s'agit pas d'une légende à l'origine, donc la vraie histoire telle qu'elle est décrite dans les "vieilles annales de Bohême" ("Staré letopisy české") est autrement plus sordide. Je vous passe les crimes abominables auxquels les frères "Chlevce" se livrèrent, crimes qui sont détaillés dans le procès verbal comme dans l'acte d'accusation mais qui dépassent l'entendement humain, pour en arriver directement aux faits. Une fois empalé, l'un des 2 frères succomba rapidement (il ne pria sans doute pas assez Ste Barbara).
Alors qu'est-ce qui a conduit plus tard le comte "Štěpán Vilém Kinský" à faire construire cette chaplette? Ah oui, parce que je ne vous l'avais pas encore dit, c'est donc le comte "Štěpán Vilém Kinský" qui fit construire la chapelle. Et pourquoi? A nouveau, une histoirexceptionnelle à la Strogoff et qui n'est pas
"Štěpán Vilém Kinský ze Vchynic a Tetova" est né en 1679 pour mourir en 1749. Il servit dans l'armée impériale (d'Autriche), et en 1719, il devint colonel de cavalerie. Travailleur, il prit rapidement du galon et fut nommé gouverneur du royaume de Bohême. 3 ans plus tard, il débarqua à la cour du tsar Pierre le Gland mandaté du mandat d'ambassadeur, et en 1726 (parfois 1729), il fut nommé ambassadeur d'Autruchon-gris à Paris auprès de Louis XV. Commence alors notre histoire.
Lettré, multilingue, et intellectuellement meublé, il s'amouracha rapidement de la France au point de ne plus signer autrement qu'Etienne Kinsky. Et la France le lui rendait bien: cavalier accompli, élégant d'apparence et cultivé d'esprit, nulle surprise qu'il eut rapidement ses entrées auprès de "la haute" qui recherchait ardemment sa présence.
Le jour de son départ, monsieur de Châteauloup le retint encore, qu'il fallait absolument qu'il lui montrât quelque chose une fois la nuit tombée. Curieux, Etienne resta. La nuit venue, le marquis prout-prout entraina notre bonhomme par de sombres galeries souterraines jusqu'à arriver dans une vaste catacombe où gisait une vingtaine de cercueils remplis d'une vingtaine de cadavres momifiés, portant des traces de sang sur leurs frusques. "Courage mon ami, ne cédez point à la panique" dit le marquis. "Ces cadavres appartiennent à diverses personnes qui eurent l'outrecuidance de refuser mes avances. Ils périrent de ma main. Ainsi vous aussi avez maintenant le choix soit de succomber à ma saillie, soit de m'affronter en duel. En Allemagne, l'on vous considère comme le meilleur escrimeur du pays. En France, c'est moi qui ai cet honneur. Que me répondez-vous?" Ben tiens, tu m'étonnes! Que répondit-il d'après-vous? "Votre choix me navre grandement mon ami, mais ainsi soit-il. L'un d'entre-nous rejoindra donc ce soir cette macabre compagnie. Mon personnel est au courant de ma faiblesse. Viendrais-je à périr, le majordome vous accompagnera saint et sauf jusqu'à Paris, où vous pourrez vous enorgueillir de m'avoir vaincu". Bon, ok, mais avant de faire couler le sang, Etienne demanda au marquis de lui accorder quelques minutes afin de se calmer les nerfs dedans sa tête. Il fit le tour de la catacombe, dévisagea les momies, refit un tour, re-dévisagea les momies, réfléchit une dernière fois à l'offre initiale du sodomite, puis se mit en garde. Le duel commença.
L'un porta une attaque, l'autre esquiva. L'un bondit en avant, l'autre en arrière. L'un esquiva sur la gauche, l'autre sur la droite. Les épées sifflaient dans l'air et se heurtaient violement. Soudain, le marquis voulut porter le coup fatal. Il sortit alors sa botte secrète, se jeta en avant, mais Etienne esquiva. "Quoi, mais c'est pas possib'" pensa le marquis, "c'est ainsi que j'ai trucidé tous les réfractaires précédents". Eh oui, mais tandis que l'Etienne s'en promenait dans la catacombe, il remarqua les blessures sur les macchabs momifiés. Toutes furent portées au même endroit, à 1,23 cm au dessus de l'aorte du coeur perforant le troisième poumon de la cuisse à l'intersection de la prostate et des ovaires (dans le fond, en bas à gauche, sur la radiographie). Fort de cette précieuse information, Etienne se tint sur ses gardes et put ainsi esquiver l'attaque mortelle du marquis. "Il suffit" dit Kinsky, "inutile de nous battre jusqu'à la mort pour une sordide histoire de Q". Mais le marquis, doublement frustré, ne voulut rien entendre, et bavant de colère, il batailla comme un bougre enragé. Eh oui, mais la colère ne fait rien à l'affaire. En matière d'escrime, la sérénité, l'équilibre mental et le flegme sont de rigueur. Eh! Si le marquis prout-prout avait lu la Guerre des étoiles, les chevaliers du Jet-d'ail lui auraient dit que "la colère et la peur forment le côté obscur de la Force".
La légende raconte que "Štěpán Vilém Kinský" laissa construire la chapelle Ste Barbara après avoir lu à ses enfants l'histoire des brigands empalés, et après s'être rappelé que lui même faillit connaître ce supplice au domaine de Boisrepos, pour peu qu'il eut choisi la première option offerte par le marquis de Châteauloup. En vérité, la chaplette fut construite entre les années 1725 et 1730, soit après le retour à Prague d'Etienne depuis la Russie, accessoirement depuis la Rhénanie-Palatinat (où il passa rapidement quelques mois), en tous les cas avant son séjour parisien. Alors quel fut le déclic, l'incitation, la raison pour construire ce petit bout d'édifice d'avec ses peintures insolite? On ne le saura sans doute jamais vraiment.
Bon, et la chaplette alors? Elle fut construite par un des plus grands génies du baroque moult fois mentionné dans mes publies: "František Maxmilian Kaňka". Sans grande surprise pour mes lecteurs assidus, je vous informe que vous trouverez sur POI.CZ une liste complète des oeuvres de l'architecte, avec les coordonnées GPS comme les adresses postales qui vont bien. La chaplette grande ouverte dans la rue est cependant protégée par une grille. Deux colonnes latérales supportent des volutes entrecoupées typiques des frontons de fenêtres baroques. Au centre, on devine le blason de la famille tel qu'on peut le voir au centre du palais "Kinský", place de la vieille ville: 3 dents de loup poussent de la gauche vers la droite sur un fond rouge, le tout étant surmonté d'une couronne comtale (de comte) en la chaplette, surmonté d'une couronne princière au palais "Kinský". Bon, et c'est globalement tout ce que l'on peut dire sur l'architecture. Notez que la construction est en mauvais état, et qu'un brin de restauration serait le plus bienvenu. Avis aux mécènes.
Concernant les fresques du dedans, elles sont à mettre au compte d'un autre génie du baroque moult fois mentionné dans mes publies aussi, "Václav Vavřinec Reiner".
Alors au-delà de l'anecdote, cette affaire d'empalés de 1512 remontée des oubliettes par "Štěpán Vilém Kinský ze Vchynic a Tetova" dans le premier quart du XVIII ème siècle et peinte par "Václav Vavřinec Reiner" éclaboussa bien au delà de la chaplette praguoise. Outre les 2 églises de la Ste trinité de "Smečno" et Ste Barbara de "Nabdín", puis outre la chapelle St Francois Xavier de la mairie baroque de "Polička" (près "Svitavy") où l'inspiration est patente (cf. les pals, l'extrême onction), il est encore 2 églises où l'inspiration est carrément réplicopie. La première réplique, oeuvre de "František Julius Lux", se trouve dans la chapelle Ste Barbara de l'église de la nativité mariale de "Domažlice". La seconde, oeuvre de "Eliáš Dollhopf", est l'autel en trompe l'oeil de l'église Ste Marie de l'assomption de "Kynšperk nad Ohří". Là, la composition est pratiquement identique qu'en notre chaplette de la rue "Loretánská", en dehors de quelques différences mineures que je vous laisse découvrir (lorsque vous vous rendrez sur les lieux mentionnés) et qui sont à mettre sur le compte de l'initiative personnelle des artistes. Notez que la renommée de ces 2 derniers peintres n'a jamais dépassé les frontières locales de la Bohême. C'est bien dommage, car ils mériteraient selon moi nettement plus qu'une simple mention dans ma publie (une autre fois, quand j'aurai plus de temps). Et selon mes sources, il serait encore un autel secondaire consacré à Ste Barbara en l'église St Jacques de "Cítoliby" où le supplice répugnant serait représenté par l'artiste originel en personne ("Václav Vavřinec Reiner"). Mais n'aillant pas eut l'occasion de visiter, je ne puis confirmer présentement.
Alors pourquoi soudainement un tel intérêt pour le pal en période baroque me demanderez-vous? Bon, je vais encore passer pour un bouffe-curé, mais j'ai pas vraiment le choix afin de vous expliquer le pourquoi du comment. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un des piliers de la religion catholique est la souffrance (le péché originel = souffrance, Jésus salvator mundi = souffrance, la vie terrestre = souffrance...). Le plus souffrancieux, le plus catholique et le plus proche de dieu.
- St Pierre crucifié la tête en bas (ça encore ça va).
- St Jean l'évangéliste jeté dans de l'huile bouillante (sans sel).
- St Laurent grillé (sans marinade).
- Ste Apolline les dents arrachées à la pince (sans anesthésie).
- St Etienne lapidé (sans pitié).
- St Barthélemy dépecé et corché vif (sans commentaire).
- St Benjamin empalé après qu'on lui ait cloué des bambous sous les ongles (sans dec?).
Enfin y en a pas un qui soit mort dans son lit, pénard, une pipe dans la main, sa tendresse d'amour à ses côtés, le chat couché sur ses pieds. Alors forcément, face à ce débordement sordide de cruauté bestiale voulue par dieu (pauv' type), Ste Barbara simplement décapitée par son père, ça faisait cucul la rainette et pipeau la prune, genre fable puérile pour lardon pétochard. Fallait de la souffrance, du sang, de l'horreur ignoble, de l'atrocité brutale et de la viande déchiquetée. Fallait du hard-gore monstrueux qui gicle à la tonne crénom de dieu. Aussi l'on trouva ce subtil mélange d'empalés et de Ste Barbara, typiquement tchèque. En France par exemple, Ste Barbara est la sainte patronne d'un tas de trucs délirants, en particulier elle protège de la foudre, et plus globalement de la mort subite, non pas parce qu'un foudroyé l'aurait priée au bon moment, mais parce que son vilain papa, qui lui trancha la tête pour sa conviction catholique, fut aussitôt foudroyé par le ciel vengeur. Bref, Ste Barbara et l'empalement, ça faisait la paire en Bohême, ça plu immédiatement aux artistes comme aux curés et la sauce prit, au point qu'on en mit partout sur les peintures, des Ste Barbara et des empalés. Eh oué.
Alors pour visiter, c'est sans rendez-vous. Il suffit d'y aller, et de regarder, à n'importe quelle période et à n'importe qu'elle heure. Et je vous conseille aussi d'en profiter pour inviter la fabuleuse taverne du Boeuf Noir ("U Černého Vola") qui se trouve à 100 m au dessus, en direction de la place de la Lorette. La chaplette Ste Barbara se trouve là: 50.0884389N, 14.3925464E.