On connait Marjane Satrapi pour ses romans graphiques, Persepolis notamment, dont elle est la dessinatrice et la scénariste. On la connait aussi pour ses films, Persepolis porté à l’écran, Poulet aux Prunes, et le tout récent La bande des Jotas, dont on voit les affiches en ce moment dans le métro. Mais son travail de peinture nous l’ignorons. Pourtant c’est une activité à laquelle elle s’adonne depuis des années.
Découvrir ses 21 tableaux dans l’agréable galerie Jérôme de Noirmont, qui valorise bien les œuvres, est une première. J’avais apprécié le lieu lorsque j’étais venue pour l’exposition « L être au monde » de Claudine Drai au printemps dernier.
Les toiles mettent en scène des femmes (iraniennes visiblement), seules, à deux ou en groupe. Au rez-de-chaussée, il s’agit de plus grands formats qu’à l’étage. On surprend des jeux de regards, des expressions multiples : de l’admiration, de l’inquiétude, de la complicité, de l’autorité ou juste une pose pour faire bonne figure.
Qui sont ces femmes toutes faites avec la même touche ? Elles n’ont pourtant pas les mêmes traits, on les distingue, mais elles semblent toutes modelées dans le même matériau par le même créateur qui s’amuse du contraste de leur apparence avec le monde extérieur. Marjane Satrapi joue ainsi avec les couleurs des habits, avec le décor coloré dans lequel elle place ses sujets.
A l’étage, les femmes sont seules, elles font d’autant plus entrer dans leur monde, leur situation présente. On lit ce qui se passe hors de la toile, en prenant pour point de départ l’expression de la femme représentée, le décor dans lequel elle se trouve, son regard vers l’extérieur. On devine, on imagine.
En redescendant, on compare les portraits de famille, où l’on voit 4 femmes, est-ce les mêmes ? Seules certaines des femmes de cette série regardent le spectateur.
Je suis d’autant plus touchée par ces tableaux lorsque je lis dans le catalogue les propos de Marjane Satrapi, ou plutôt l’histoire de son goût pour le dessin et l’écriture.
Étantelle aimait et admirait beaucoup sa grande-tante, qui était poète et peintre. Celle-ci avait mis fin à son mariage en s’échappant de la maison, et avait obtenu le divorce en échange d’une grande somme versé à au général de l’armée. Elle partit étudier la peinture en Suisse, ce qui lui valu le surnom de « la tante suisse » dans la famille. Marjane aimait passer ses week-ends avec elle, plutôt qu’avec d’autres enfants, elle avait le droit de peindre sur toutes sortes de supports, les murs y compris. Dans ce royaume permissif et créatif, toutes deux passaient aussi le temps à se raconter des histoires. Sa tante lui narrait alors des histoires d’amour, d’aventures, de vengeance, entre l’Europe et l’Iran. Mais un jour, atteinte d’un cancer, dont elle ne voulait pas parler, sa tante fut hospitalisée. Elle appela alors Marjane à son chevet et lui dit : « Je mourrai bientôt et mon esprit entrera dans ton corps. » Puis elle marqua une pause et ajouta : « Mais vu la forme de ton front tu seras soit peintre, soit écrivain, soit les deux. » Elles avaient le même front. Destinée par ces paroles Marjane Satrapi, nous offre aujourd’hui à l’œuvre qu’on l’on découvre désormais.
Dans les peintures qu’on a appréhendées seuls, elle nous offre un complément d’indications. Elle aime peindre les femmes, non pas pour une quelconque raison féministe. Elle peint plutôt des femmes proches d’elles, sa grand-tante, sa grand-mère et ses cousines et elle-même. Les femmes qui l’ont faite en définitive.
Une exposition très touchante, intérieure et vibrante, où les histoires sont celles qu’on se raconte en regardant les toiles, puis auxquelles on pense à nouveau à la lumière des propos de l’artiste.
A voir :
Marjane Satrapi, Peintures
Jusqu’au 23 mars 2013
à la Galerie Jérôme de Noirmont
36-38 avenue Matignon
75008 Paris