Pourquoi les « socialistes » planquent-ils le rapport Tuot dans un placard ?

Publié le 09 février 2013 par Mister Gdec

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je ne savais pas qui était ce Thierry Tuot avant que Rosaelle n’attire mon attention sur son rapport. Je me suis donc renseigné. En termes de missions de ce type, il n’en est manifestement pas à son coup d’essai, même si ce fut dans des registres parfois différents, comme par exemple dans le cadre du grenelle de l’environnement. Toutefois, il possédait déja une expérience vis à vis du domaine étudié puisqu’il a été Directeur Général du Fonds d’action Sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille (FAS) en 1996, ce qui n’est pas rien. Mais la fonction qui m’a le plus frappé dans son parcours, c’est celle de  juge délégué de la reconduite aux frontières, assortie de celle de président de section à la Cour internationale du droit d’asile, deux fonctions qui me semblent plutôt antagonistes quand on est un homme de convictions… Mais je m’égare. C’est manifestement un homme de droit, voilà tout… Le personnage planté, étudions à présent  le contenu de son document, dont la presse parle peu. Et pourtant…

 » Donnant libre cours à une xénophobie archaïque et minoritaire, le discours d’apparence rationnelle, équivalent nombre d’immigrés usurpant des emplois et nombre de chômeurs, ouvrait le champ au Front National et à des réactions symétriques guère mieux pensées.  » Fustigeant avec des mots parfois très durs la politique d’intégration française qui pour lui a quasiment disparu de même que ses outils institutionnels d’autrefois, sauf pour certaines actions à la marge, le rapporteur estime que les discours sur l’immigration actuels empruntent à une idéologie et à des concepts totalement dépassés, datant pour la plupart de la fin du 19ème siècle (« Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! OEuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! »)  allant jusqu’à parler de « l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs Suprêmes ! » Voilà qui n’est pas faux mais étonne de la part d’un haut fonctionnaire d’État, un de ces énarques qui nous ont habitués à un langage plus normatif et formaté.

« Le résultat de l’intégration n’est pas la disparition de l’origine étrangère réelle ou supposée, ni même son effacement, et encore moins son oubli ou sa négation. Chacun d’entre nous doit et peut demeurer fier de ses origines – dont il n’est, hélas, pas inutile de rappeler qu’elles nous font tous descendants de la seule race connue parmi les hommes : la race humaine. »   Voilà qui fait plaisir à lire, ces mots dans lesquels je me reconnais, qui définissent si bien mon positionnement sur ce sujet, loin des discours identitaires de gens souffrant manifestement de pathologies psychiques et qui se sentent menacés, allant jusqu’à évoquer la thèse du grand envahissement et d’une prétendue colonisation islamique de l’Europe chers aux Renaud Camus et autres D.Goux de toutes sortes. Le rapporteur préfère quant à lui à propos des difficultés d’intégration dépasser la seule vision ethnicisée et d’une supposée appartenance religieuse inhérente à telle ou telle origine géographique pour évoquer une multiplicité de facteurs, parmi lesquels la ségrégation spatiale des habitats, par strate sociale et par origine ne compte pas pour rien.

Étant entendu – puisque c’est un constat que l’on peut probablement partager quel que soit notre positionnement politique – que la politique d’intégration (dont le mot horripile tant y compris ceux auxquels il se destine, notamment les enfants dits de 2ème ou 3ème génération) ne fonctionne plus, le rapport propose « une politique de mise en capacité pour créer une société inclusive ». Ce ne sont pas que des mots. Il en définit en effet le mode opératoire, que j’évoquerai plus loin.

« Construire une société inclusive est un effort partagé par tous ceux qui résident ici ; c’est un horizon commun d’effacement des divisions, non un effort asymétrique où certains ont les droits et d’autres les devoirs ; c’est une politique publique et un mouvement de transformation sociale, non une prestation qu’on condescend à verser à certains aux dépens d’autres ; c’est une élévation collective – de nos richesses et de nos conditions de vie, non une aide accordée à des tiers. »

« Remettre dans la société jeunes, mères, vieux, tous et chacun, est producteur de richesses, non seulement par l’économie, à terme, de dispositifs traitant de pathologie sociale comme la délinquance,mais aussi et surtout par l’immédiate production de richesses, qui diffuse sur place et irrigue bien plus et mieux que n’importe quelle aide publique : ramener à l’emploi, remettre sur le chemin de la formation, sortir de l’isolement est un investissement public aux dividendes rapides et considérables, économisant le coût de l’exclusion et les externalités négatives de la destruction de richesses. » L’argument qui tue, puisqu’il rapporte, nous dit le rapporteur, en termes d’investissement dans un « capital humain » qui, mieux intégré, sera plus créatif, entreprenant, productif, que ne pourra l’être celui d’une population aujourd’hui marginalisée, ghettoïsée et ostracisée. Voilà qui ne manque pas d’ambition. Haut les cœurs ! Jouons la collectif, effectivement, plutôt qu’à la mode sarkozyste ou lepéniste, où le compartimentage, la généralisation de la méfiance et du chacun pour soi en haïssant tous les autres est élevé au rang de seul horizon indépassable et prétendument pragmatique, dépasseur de tabous… Mon œil ! Voilà une issue bien plus positive et enviable. Mais comment procéder ? Un peu de patience…

Pour « ramener la France et sa grandeur, à la puissance d’un pays fort de la diversité des sources de son peuplement, uni dans une société fraternelle face à la mondialisation« , le rapporteur propose de :

> Dire la vérité, en toute transparence, sur les flux migratoires : « N’importe qui peut, s’affranchissant de toute rigueur scientifique, soutenir à peu près n’importe quoi quant aux flux migratoires »

> Réformer les modes d’acquisition de la nationalité française, devenus par trop restrictifs inutilement,  en renforçant conjointement le rôle intégrateur de l’école, et plus largement de l’éducation, de la culture.

> Rendre hommage par des cérémonies d’envergure à ceux qui ont combattu pour la France (« Honneur aux braves » !)

> Rénover les foyers de travailleurs immigrés pour leur rendre leur dignité et « les laisser vieillir en paix » !

> Associer les habitants et leur histoire, quelle que soit leur origine, aux opérations de rénovation urbaine, plutôt que de leur imposer des projets qui, quelle que soit leur ambition, leur sont imposés, et qui parfois les exclut davantage, voire les rejette.

> Mettre en place un « contrôle social des critères d’accès au logement » : « Il n’y a pas de domaine de la vie publique où la prise de décision apparaisse comme aussi obscure et incertaine – à peu près autant que l’octroi d’une faveur à la cour du Roi-Soleil« . Pour cela, il s’agirait de faire en sorte que les commissions d’attribution définissent des critères d’accès aux logements moins opaques, et qu’elles réunissent non seulement des élus locaux, les services de l’État, les bailleurs sociaux, mais aussi les futurs occupants qui seraient alors parmi les décideurs.

> Installer des carrés musulmans dans les cimetières

> Décentraliser l’action de l’État en matière d’intégration en créant des agences décentralisées à l’échelon le plus pertinent en fonction de la population concernée ; régional, départemental, intercommunal ou communal, cela  après avoir redéfinit le rôle du HCI, plus indépendant de l’exécutif, et recentré ses missions.

> Sauver les associations, en leur redonnant la place utile qu’elles ont perdue sous l’ère sarkozyste, en simplifiant en outre par un dossier type national téléchargeable les modalités d’attribution de subventions sur la base d’un contrat clair et mesurable, opérationnel et efficace.

Une parenthèse pour régler ici son compte  à l’hypothèse du supposé ras de marée de clandestins qui viendrait inonder la France, comme s’en nourrit l’imaginaire réac et fascisant.  Le rapporteur nous fait part en effet de son expérience en nous révélant à propos de ces clandestins que « pour la plupart, le défaut de reconduction tient à ce qu’ils sont en droit inexpulsables« . Pourtant, « L’immense écart entre cette situation de droit finalement assez satisfaisante, et les mouvements martiaux publics des différentes autorités, se traduit par un marécage de souffrance et de destruction sociale qu’il est impératif d’assécher. Le clandestin qu’on ne renvoie pas vit dans la misère. Il n’a droit à rien, ni compte en banque, ni prestations, ni travail régulier, ni logement décent. Il offre le spectacle lamentable d’une population étrangère maintenue de force dans un état de clochardisation qui détruit les êtres, les rend vulnérables aux intégrismes, mais surtout en fait la proie des mafias, des employeurs sans scrupule, et des logeurs sans morale. L’image qu’il donne, bien plus visible que celle des autres immigrés, dégrade évidemment profondément l’idée que nous pouvons avoir de ce que sont les immigrés : nous ne les voyons plus que pouilleux, miséreux, traînant dans la rue, cherchant à survivre dans l’illégalité. » Fossé là aussi comme dans bien d’autres domaines d’activité que chacun d’entre nous peut mesurer dans son quotidien professionnel entre la vision technocratique pure et la réalité de terrain, qui devient de plus en plus, dans cette réalité humaine de l’immigration, inacceptable pour tout citoyen  d’une société dite civilisée. Et donc, pour répondre très concrètement à cette urgence humanitaire, le rapporteur propose une mesure, la seule que des journalistes paresseux  ont retenu de ce rapport, parmi les rares à l’avoir évoqué  : la régularisation des sans-papiers.

« L’autre catégorie est faite des clandestins que nous ne pouvons expulser. Lorsqu’on a échoué une fois, on n’y arrive jamais. Reconnaissons-leur donc un titre constatant le fait qu’ils séjournent en France, titre qu’on pourrait, à l’instar des Allemands qui en sont les inventeurs et s’en trouvent bien, nommer titre de tolérance. (ndla :  sic.. Le terme n’est pas franchement heureux). Il aurait le premier avantage, que contrôlé dans la rue, son porteur ne fera pas l’objet d’une mise en rétention pour quarante-cinq jours mobilisant des fonctionnaires et des capacités d’hébergement pour une expulsion impossible. »

Pourtant, il y en a une première… !  « Les personnes entrées sur le territoire qui n’ont pas de titre à y séjourner doivent être classées en deux catégories. La première est faite de ceux qu’on parvient à reconduire à la frontière, avec dignité, si possible en se demandant quel sort va leur être réservé une fois rentrés, les aidant à y assumer ce qui est l’échec d’un parcours d’émigrants. Ne pas le faire – pour qui trouve que nous n’avons pas un centime à dépenser pour des clandestins – est s’exposer au risque d’un immédiat retour ; ruinés, ayant perdu tout crédit, rejetés, dans leur pays d’origine, ils s’acharneront à revenir. Il est humain, mais il est aussi rentable de les aider à rentrer dignement. Recréons en conséquence des délégations de l’Office français d’intégration et d’immigration (OFII) dans les principaux pays d’origine, dotons-les d’aides à la réinsertion locale et d’une compétence pour aider au maintien sur les lieux de ceux qui n’ont pu être accueillis. » Voilà qui semble découler du bon sens… Et pourtant. Ce gouvernement qui porte le beau qualificatif de socialiste va-t-il enfin le mériter, en suivant les recommandations de ce rapporteur qui, loin du gauchisme à la petite semaine parfois de nous autres, dresse un constat, apporte une analyse, et propose des solutions ? Plutôt que la voix de Mr Valls qui devient si prépondérante qu’on en finit par se demander qui est le premier ministre ? Et surtout qui porte une véritable politique d’intégration ambitieuse, qui ne laisse pas les affaires en l’état, c’est à dire pourrissantes, en se contentant de jouer le seul refrain connu pour le moment en matière d’immigration depuis l’élection de François Hollande : la répression et la politique du chiffre de reconduites à la frontières, à la manière si sarkozyste du Ministre de l’intérieur ?

Là encore, un autre monde est possible. Merci à Monsieur Tuot d’en avoir tracé quelques lignes un peu plus ouvertes et cohérentes, adaptées, que celles qu’on nous propose, à droite comme dans une certaine gauche, actuellement. Ces lignes tracées par d’autres qui laissent encore des traces au point de voir partager par tant et trop de français des thèses que l’on croyait réservées à la seule droite dure, UMP, FN et bloc identitaire confondus dans un même sac de manque d’imagination conduisant à la seule issue qu’ils connaissent : l’exclusion/expulsion.  Doit-on laisser ce gouvernement dit socialiste adopter les mêmes méthodes, en l’atténuant seulement à la marge, sans régler les problèmes de fond, comme le propose utilement ce rapport  ? Blogueurs de gauche et humanistes, faites passer. Commentez. Précisez tel ou tel point. Infirmez, confirmez, développer l’analyse de ce qui vous chante. Mais surtout, surtout pasn ce silence. Le sujet mérite mieux. Et les pires éléments politiques régressifs de ce pays se repaissent et progressent sur ce silence et cette absence d’initiatives à gauche, comme le démontre très clairement l’absence de volonté politique sur le sujet du vote des étrangers, autre facteur sinon d ‘intégration, du moins d’expression potentiellement libératoire, et luttant contre des discriminations devenues intolérables, à l’heure où l’on parle plus volontiers aujourd’hui de celles concernant le dossier du mariage pour tous. Alors, deux poids, deux mesures ? Ayons le courage d’être de gauche, ensemble.