Je suis en colère contre l’adulte qui a laissé faire

Publié le 08 février 2013 par Zappeuse

Vous me direz que mes histoires de bestioles, les zozios, les écureuils, les crapauds, c’est bien futile tout ça ! il y a la guerre au Mali, et puis 57% des jeunes Espagnols qui sont au chômage, et puis un séisme aux îles Salomon, et puis deux mouflettes tuées dans un accident de scooter à Mont-de-Marsan, et puis et puis et puis. Et vous aurez raison. Des événements autrement plus graves que les histoires de cul des crapauds se déroulent sous nos yeux. Et pourtant, ce que j’ai vu sur le coup de midi m’a énervée et attristée à la fois, moi qui pensais que tous les enfants, même les plus laids, les plus sales, les plus bêtes, les plus mal élevés, même les plus salopiots de la bande, moi qui pensais que tous les gnards aimaient les animaux, et bien je me suis trompée. Mais plus encore que les affreux lardons, c’est à l’adulte censé les encadrer que j’en veux. Je n’ose imaginer que ce grand dadais fut enseignant, maître d’école. C’est pas possible. Ce sont des gens bien, les instits. En général. Je me dis que c’était un adulte d’une autre catégorie.
Je résume l’affaire : dans le jardin public de Bordeaux, il y a une petite mare en ciment, dont la margelle trop haute et arrondie ne peut être franchie par les crapauds que grâce à un crapauduc, c’est à dire un petit tas de paille servant de plan incliné pour les batraciens. La saison des amours ayant semble-t-il débuté un peu plus tôt que d’habitude, il n’y a pas de crapauduc. Mais les crapauds sont routiniers, et chaque année se rendent dans la même frayère. Il y avait donc ce matin un mâle sur une femelle, allant cahin caha vers la mare, mais bien empapaoutés face au muret. Au bas du muret, une flaque d’eau s’étendait en rigole. Et vas-y-que j’te féconde, susurra en sa langue le monsieur à la dame. Aucune chance pour que les œufs peu après libérés deviennent têtards : pas assez d’eau, aucune végétation pour abriter la couvée. Mais quand même, ce n’est pas parce-que ces deux-là n’auront pas de descendance cette fois-ci qu’il faut se montrer violent.
Violent ? et bien oui. Le grand dadais servant d’adulte responsable à une vingtaine de mioches d’à peine dix ans a lâché sa meute sur la mare en restant à une bonne vingtaine de mètres des affreux jojos. Lesdits jojos courent en braillant, montent sur la margelle sans tomber, en font le tour en courant comme des fous, je crains qu’ils ne piétinent les crapauds, j’espère qu’ils ne les verront pas, ne pressentant pas en eux une patience d’ange. Mon pressentiment était bon. Le grand dadais ne broncha point.
Les mouflets virent les crapauds. Les filles lancèrent des « beurks » prouvant que ces pauvres chéries n’avaient jamais vu autre chose que le bitume de la cour de récré et les halls des supermarchés. Et puis le dadais rappela sa troupe, sans regarder qui faisait quoi. Cinq trublions, au regard vide des bovins élevés en batterie, restèrent près des crapauds et se mirent à leur jeter des graviers en beuglant. Je suis intervenue. Ils m’ont à peine regardée, pas écoutée. Un seul s’est retourné, me jetant un soupir arrogant, celui de la future petite frappe si on ne l’éduque pas avant.
Apprenons la biodiversité et son absolue nécessité à nos enfants. Pour cela, montrons leur que même la ville recèle des trésors, maillons d’une chaîne dont nous faisons partie, comme l’écureuil de la semaine dernière, le martin-pêcheur vu il y a quelques mois, les cormorans et le héron cendré, la grive et le geai, les mésanges, les merles, les moineaux, les bergeronnettes, les pinsons, les rouge-queues, et même les étourneaux. Oui, même les étourneaux.

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