Deux amis d’enfance, Matthieu et Libero, décident d’abandonner leurs études de philo à Paris pour aller s’occuper d’un bar dans un petit village corse.
Parallèlement à cette histoire on suit aussi celle de Marcel, le grand-père de Matthieu, ainsi que celle d’Aurélie, sa soeur, qui est archéologue et marche sur les traces de Saint Augustin (l’auteur du Sermon sur la chute de Rome) à Hippone.
Le contenu philosophique du livre tient en une phrase, d’ailleurs assez banale : toute chose est vouée à la déchéance et à la mort sauf le royaume de Dieu. Mais ce n’est pas pour cet aspect philosophique que ce roman m’a plu. Et ce n’est pas non plus pour le récit lui-même, où j’ai trouvé qu’il y avait un peu trop d’histoires de bar (filles, alcool, argent volé dans la caisse) qui ne sont guère palpitantes à mon avis.
Non, si j’ai aimé ce roman c’est pour le regard très pénétrant que Jérôme Ferrari porte sur ses personnages, un regard à la fois aigu, indulgent, profond.
Par ailleurs cet auteur a une écriture assez envoûtante, faite de très longues phrases dans lesquelles les dialogues sont souvent inclus.
J’ai choisi une phrase au hasard pour donner une idée de ce style :
Jacques a quinze ans, Claudie, dix-sept, et Jeanne-Marie pleure à chaudes larmes en racontant qu’elle les a surpris horriblement nus et enlacés dans la chambre de leur enfance, elle se reproche sa naïveté, son aveuglement coupable, elle savait combien ils s’aimaient d’un amour qu’elle croyait tendre et fraternel, combien ils répugnaient à être séparés, mais elle n’y a vu aucun mal, au contraire, elle en était sottement émue alors qu’elle réchauffait en son sein deux bêtes lubriques, tout est de sa faute, elle préfère ne pas savoir quand cette horreur a commencé, et ils n’ont même pas honte de leur immoralité, Claudie s’est dressée devant elle, toute nue et moite, et lui a jeté un regard de défi que rien n’a pu faire baisser, ni les remontrances, ni les coups, Jacques a été envoyé dans une pension catholique, et Claudie n’adresse plus la parole à ses parents, elle dit qu’elle les déteste, le temps n’entame pas sa détermination incestueuse, une correspondance, ignoble et secrète, est interceptée, Claudie ne leur fait grâce de rien, pendant des années, elle leur impose quotidiennement ses larmes, ses cris, son silence hystérique, Jacques s’enfuit de la pension dans laquelle on le ramène de force pour le contraindre à une pénitence inutile jusqu’à ce que le général en retraite André Degorce, qui n’en est plus à une défaite près, brandisse une fois de plus le drapeau de la capitulation et fasse accepter à tous l’inévitable abjection de ce mariage que la naissance d’Aurélie finit par sanctifier, après quelques années que les époux voraces ont égoïstement consacrées à se repaître de leur propre chair car l’égoïsme le plus acharné ne peut échapper au cycle immuable de la naissance et de la mort.
Cet extrait provient de la page 145.