En l’espèce, le Tribunal pénal turc de Denizli avait ordonné dans une décision du 23 juin 2009, le blocage total de l’accès à un site diffusant des contenus outrageants et donc contraire à la loi locale de 1951.
Le même jour, la Présidence de la télécommunication et de l’Informatique (PTI) recevait ladite décision et informait le Tribunal que la seule possibilité d’empêcher l’accès au site litigieux était de bloquer totalement l’accès à tous les sites partageant le nom de domaine « sites.google.com ». En effet, son propriétaire n’était ni titulaire d’un certificat d’hébergement et ni résident turc.
Rappelons que « Googles Sites » est un service proposé par GOOGLE permettant l’hébergement de données et la création de sites Internet.
Le Tribunal réforma alors sa décision et décida de bloquer totalement l’accès à Google Sites en vertu de l’article 8 de la loi n° 5651.
En procédant de la sorte, la Turquie n’empêchait pas seulement l’accès à un site litigieux mais à tous les sites hébergés par le service « Google Sites ». Il n’en fallut pas moins pour qu’un ressortissant de cet Etat porte plainte devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour atteinte à son droit à la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées, garanti par l’article 10 de la Convention.
En effet, selon la jurisprudence de la Cour :
« grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites Internet contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information. »
(Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), (nos 3002/03 et 23676/03, § 27, CEDH 2009)
En l’espèce, il faut rappeler que la mesure préventive ordonnée par le Tribunal, avant tout jugement au fond, frappait le site d’un tiers qui diffusait des propos litigieux, ce qui n’était pas le cas des sites édités par les autres utilisateurs de « Google Sites ». En réformant son jugement et en interdisant l’ensemble du service « Google Sites », le Tribunal turc influait en réalité sur l’accessibilité d’Internet.
Cette atteinte à la liberté d’expression reconnue par la CEDH n’aurait pu être justifiée que par la « Loi » ou par un ou des buts légitimes au regard de l’article 10 § 2 et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.
Toutefois, les conditions de ces exceptions n’étaient pas réunies dès lors que :
- Ces mesures affectent « considérablement » les droits des Internautes et ont un effet collatéral important ;
- L’ingérence à laquelle a donné lieu la loi turque en son article 8 de la loi n° 5651 ne répondait pas à la condition de prévisibilité voulue par la Convention des droits de l’Homme et du Citoyen et n’a pas permis au plaignant de « jouir du degré suffisant de protection qu’exige la prééminence du droit dans une société démocratique »;
En effet, les restrictions d’accès à un site Internet doivent non seulement s’inscrire dans un cadre légal strict, mais aussi offrir la garantie d’un contrôle juridictionnel efficace (Association Ekin c. France, no 39288/98, § 58, CEDH 2001 VIII).
Or, la mesure de restriction de l’accès à internet n’est pas légitime puisque le requérant n’a aucun lien avec l’affaire pénale jugée initialement.
De plus, le blocage général de Google Sites a eu des effets sur tous les utilisateurs qui n’étaient plus en mesure de pouvoir accéder aux contenus stockés sur le serveur. Le Tribunal turc aurait donc dû rechercher une mesure moins lourde se limitant à sanctionner le contenu litigieux, à commencer par obtenir le retrait des contenus illicites auprès de l’hébergeur.
Le premier enseignement que l’on peut tirer de cet arrêt est que l’accès à internet est garanti au nom de la protection des droits fondamentaux. En effet, le droit d’accéder à internet bénéficie de garanties constitutionnelles sous l’égide du droit d’accéder à l’information et à la communication.
Dans une décision du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs affirmé que le droit d’accéder à internet est une composante du droit à la liberté d’expression et que toute mesure de restriction ne peut être ordonnée que par un juge, à l’issue d’un procès équitable et en imposant une mesure proportionnée.
Le second enseignement est que cet arrêt a le mérite de nous interroger sur les problématiques suscitées par le cloud computing c’est-à-dire le fait de stocker à distance et de manière illimité des données en vue de les consulter à tout moment. En raison du blocage général de l’accès au site Google Sites, le requérant était en effet dans l’impossibilité d’accéder aux documents personnels stockés en ligne.
Cette affaire illustre parfaitement le risque de blocage de l’accès à des contenus licites sur un service de cloud computing, sans pour autant apporter de solutions concrètes. Or, l’indisponibilité de certaines données peut être une situation dangereuse, notamment pour les entreprises qui en ont immédiatement besoin dans le cadre de leur activité.
Face à une telle situation, mieux vaut prévenir que guérir. En conséquence, il est indispensable de prévoir des dispositifs de sauvegarde de vos données.
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D’un point de vue technique, il est également conseillé de mettre en place des mesures de sécurité de vos données telles que la duplication des données sur des serveurs virtuels.
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D’un point de vue juridique, il est bien évidemment recommandé de prévoir des garanties dans les contrats conclus entre l’utilisateur et le prestataire intermédiaire comprenant une obligation réciproque de ne pas héberger des contenus illicites.