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Une année de stabilisation politique difficile au Pérou sur fond de polarisation opposant les néo senderistes et les fujimoristes aux valeurs démocratiques (II)

Publié le 07 février 2013 par Slal

Lors de sa visite d'État en France en novembre, le président Humala a déclaré que le gouvernement comptait travailler avec les recteurs des universités dans le but de s'opposer à l'avancée du MOVADEF (Le Monde du 16 novembre). A l'occasion de la réunion de l'UNASUR, les pays participants ont offert leur soutien au pays dans sa lutte contre le terrorisme ; et lors de la XXe Assemblée générale de l'Association ibéro-américaine des ministères publics, le procureur José Peláez demanda et obtint une condamnation unanime des activités du MOVADEF et du terrorisme en général (La República des 27 et 30 novembre). Cependant, il faudra aussi pour affronter l'idéologie senderiste déployer des campagnes nationales de diffusion du Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation qui explicitent les faits de la guerre interne et les crimes organisés par Guzmán et ses militants. Un débat dans les universités et sur la scène publique semble également indispensable pour éradiquer, à terme, l'idéologie de violence senderiste au Pérou.

Enfin, le gouvernement a dénoncé formellement les dirigeants du MOVADEF pour leurs liens avérés avec le PCP-SL. L'annonce fut faite le 28 décembre par le ministre de l'Intérieur, Wilfredo Pedraza, et par le directeur de la Police le général Raúl Salazar, se fondant sur les enquêtes menées par la DIRCOTE sur Manuel Fajardo et autres dirigeants. Il faut préciser que l'inculpation préalable d'Alfredo Crespo pour apologie du terrorisme n'avait pas été retenue par le pouvoir judiciaire par manque de preuves. [Voir http://www.larepublica.pe/03-01-2013/gobierno-denuncia-dirigentes-de-movadef-por-nexos-con-sendero].

Le projet de Loi contre le négationnisme sur le point d'être adopté
On peut espérer que cette démarche aboutira dans le cadre du nouveau projet de loi contre le négationnisme présenté par le Premier ministre en août, et qui vient d'être approuvé, le 11 décembre, par les Commissions de justice et de constitution du Congrès. La Loi n° 1464/2012-PE fixe des peines allant de 6 à 12 ans de prison à l'encontre de ceux qui nient le crime de terrorisme et qui incitent à commettre des actes terroristes. Santiago Gastañudi, président de la Commission de constitution, explique que le texte a été approuvé avec des modifications et indique que le projet est un outil important pour défendre le système démocratique contre les mouvements pro senderistes qui prétendent s'introduire dans la vie politique de la nation. Le Congrès devra approuver le nouveau texte pour qu'il puisse entrer en vigueur. Ce qui sera fait très rapidement d'après les injonctions répétées des instances gouvernementales et l'approbation massive des congressistes au projet de loi.

Que penser de cette nouvelle loi sur le point d'être promulguée ? Je dirai d'abord que le débat n'a pas été suffisant pour comprendre les tenants et les aboutissants du cadre légal que le gouvernement veut utiliser pour faire barrière à l'avancée de l'idéologie senderiste. L'objectif est louable, mais on est en droit de se demander pourquoi la loi déjà en vigueur contre l'apologie du terrorisme ne suffit pas pour juger des activistes du MOVADEF en particulier. On peut se demander aussi pourquoi les instances judiciaires, les gouvernements et la police, ont mis si longtemps, depuis 2000, à s'apercevoir de l'émergence et de la montée en puissance d'un mouvement idéologique néosenderiste dirigé par Guzmán depuis sa prison. Il est possible de supposer que Guzmán avait tout loisir d'agir au su de ses geôliers durant la dictature de Fujimori ; à commencer par Vladimiro Montesinos qui lui rendait visite à la Base navale du Callao. Mais que s'est-il passé après ? Pourquoi Toledo et García n'ont-ils rien fait ? La lenteur avec laquelle l'État péruvien réagit face à un mouvement terroriste tel que le MOVADEF, seulement en 2012, laisse à penser que les failles au sein de la structure étatique, du pouvoir judiciaire et des forces de l'ordre sont profondes. En tout état de cause, on espère que désormais l'adhésion au MOVADEF deviendra un délit, voire un crime, et que cela pourra réduire et, à terme, faire disparaître le mouvement de la scène politique péruvienne. Dans cet ordre d'idées, les positions de certains analystes et d'hommes politiques, comme l'ancien Premier ministre Lerner (La República du 7 novembre), qui défendent l'entrée en politique du MOVADEF « au nom de la démocratie » semblent complètement déplacées et hors de propos, elles font preuve d'un certain aveuglement face au danger du terrorisme et d'une très mauvaise compréhension de la situation politique péruvienne marquée jusqu'à présent par les séquelles de la guerre interne des années 1980-2000. Il est dangereux d'ouvrir le système démocratique à des groupes terroristes et négationnistes qui revendiquent l'impunité des bourreaux et l'oubli de leurs crimes.

Une dernière remarque : malgré les apparences, il ne semble pas y avoir de liens organiques entre le MOVADEF et les senderistes armés du VRAEM et du Huallaga. Ceux du VRAEM ont adopté une position opposée à Guzmán depuis sa capture en 1992 ; en revanche, ceux du Huallaga restaient proches de Guzmán, mais il n'est pas encore clair de savoir si les troupes d'« Artemio » agissaient en accord avec lui. En tout état de cause, le dirigeant Osmán Morote, qui avait déclaré en janvier 2012 attendre sa sortie de prison, en juin 2013, pour s'unir au MOVADEF et obtenir la libération de son « maître Guzmán », [La República du 16 janvier 2012), ne sera pas en mesure d'agir en toute impunité. D'ici là, la Loi contre le négationnisme sera promulguée et il lui sera interdit de faire de la propagande terroriste.

La demande d'amnistie de Fujimori et ses tentatives de revenir sur la scène nationale
L'impunité et l'oubli sont aussi réclamés par Alberto Fujimori, qui depuis le mois de septembre 2012 sollicite une amnistie présidentielle en invoquant des raisons humanitaires liées à son mauvais état de santé. Dans une lettre adressée au président Humala, signée le 27 septembre, Fujimori n'ajoute pas un mot de pardon, de repentance ou de regret pour les crimes qui l'ont conduit en prison. En réalité cette demande n'a pas de fondement médical, les médecins qui le suivent ayant établi que son état de santé était stable. La demande, relayée bruyamment par sa fille Keiko et son fils Kenji, tous deux congressistes, n'est liée qu'à un grand objectif : revenir sur la scène politique du pays dans l'optique des élections de 2016. Il en va de même du MOVADEF manipulé par Guzmán. Les deux criminels semblent avoir conçu le même projet extravagant d'occuper une place politique « démocratique » au Pérou.
Une année de stabilisation politique difficile au Pérou sur fond de polarisation opposant les néo senderistes et les fujimoristes aux valeurs démocratiques (II)
Fujimori, 2012, Archives La República

La première réaction du président Humala, le 3 octobre, a été de refuser de prêter attention à la demande de Fujimori, laissant à l'instance chargée des amnisties le soin de juger l'affaire avant de lui envoyer son rapport. L'écrivain Vargas Llosa, qui a soutenu Humala contre Keiko Fujimori, a condamné vivement une possible amnistie présidentielle du dictateur Fujimori, et en a fait de même pour la procédure de révocation en cours contre la maire de Lima Susana Villarán [voir : http://www.larepublica.pe/20-11-2012/vargas-llosa-el-indulto-fujimori-ensuciaria-la-gestion-del-gobierno]. Keiko Fujimori a répondu violemment contre les déclarations de Vargas Llosa et a réitéré sa demande de grâce au président [voir http://www.larepublica.pe/20-11-2012/keiko-arremete-contra-mario-vargas-llosa-por-oponerse-indulto-su-padre]. Nous en sommes encore là. Mais les choses devront se décanter rapidement car la pression est forte, tant de la part des demandeurs — qui présentent Fujimori comme une « victime » de l'État — que des instances étatiques, et de la part de la société civile, pour régler ce problème dans les meilleurs délais.
La société civile s'organise également pour exprimer son opposition aux agissements qui vont à l'encontre de l'État de droit. Ainsi, le 22 novembre, à Lima, la Coordinadora nacional de derechos humanos a organisé une marche contre l'amnistie de Fujimori, contre le MOVADEF et contre la révocation de la maire de Lima, Susana Villarán (La República du 22 novembre, voir http://www.larepublica.pe/22-11-2012/jovenes-marcharon-en-contra-del-indulto-fujimori].
La situation des droits de l'homme : avancées et tâches urgentes
Pour les organismes de défense des droits de l'homme, l'année 2012 a été difficile et décevante par rapport aux promesses de la campagne du président Humala de 2011. Durant cette période, les manifestations et les protestations sociales ont été criminalisées, notamment au cours des six premiers mois pendant lesquels le Premier ministre Valdés a traité les conflits sociaux en instaurant des états d'urgence qui ont favorisé les abus du pouvoir de la part des policiers et des militaires. Le bilan est lourd, 23 civils morts des mains des forces de l'ordre et un nombre indéterminé de blessés. Des défenseurs des droits de l'homme et des dirigeants syndicaux ont été molestés, détenus arbitrairement et même battus ; plusieurs dizaines d'entre eux ont été harcelés par le pouvoir judiciaire, et certains procureurs se sont montrés particulièrement intéressés par la persécution des dirigeants régionaux et locaux. Ainsi par exemple, le 4 juillet, Marco Arana, dirigeant de Cajamarca et porte parole de l'opposition de sa région au projet Conga, a été détenu et torturé (fractures de la tête et du dos) sans autre raison que celle de se retrouver sur la place de Cajamarca avec une pancarte qui affirmait « Agua sí, oro no » (Rocío Silva Santisteban, La República du 11 décembre 2012). Ces agissements condamnables de certains procureurs et autres juges vis-à-vis des dirigeants et des défenseurs des droits de l'homme sont très surprenants lorsqu'on sait que le rôle des agents judiciaires de l'État est souvent exemplaire dans les affaires de terrorisme. Y-a-t-il une différence de formation entre les représentants du ministère public qui s'occupent des cas ordinaires et les autres, spécialisés dans les affaires de violation des droits humains ?
De son côté, l'ONG Human Rights a envoyé une lettre au président Humala en septembre pour attirer son attention et exprimer sa préoccupation sur l'utilisation d'armes létales dans la résolution des conflits sociaux, notamment ceux liés aux exploitations des mines. A cette époque on recensait 18 morts, dont le dernier était un manifestant d'Ancash qui dénonçait l'entreprise minière Barrick. Human Rights rappela que si l'État est en droit de maintenir l'ordre, les opérations de maintien de cet ordre doivent se faire dans le respect des droits humains, y compris celui de la libre expression, de la libre association et le droit à l'intégrité physique. L'organisme rappela également que durant le mandat de García on avait déploré la mort de 165 civils et de 30 policiers au cours des conflits sociaux et que cela ne devrait plus se reproduire au Pérou. Enfin, Human Rights recommanda que l'on prenne des mesures pour éclaircir les conditions dans lesquelles ont eu lieu les décès de civils et s'interroge sur la formation des forces de l'ordre aux normes nationales et internationales pour l'usage de la force et recommande des sanctions en cas de manquements (El Comercio du 20 septembre).


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