Hou, la, la ! Quel pataquès ! Tous les ans, ou presque, le palmarès d’Angoulême, et notamment le Grand prix, fait polémique. Il n’y avait pas de raison que pour le quarantième anniversaire, il en soit autrement.
Avec tout le respect qu’on doit à un auteur aussi prolixe que Willem avec ses quarante ans de production derrière lui, ses 70 albums, son trait féroce et dérangeant sous des allures de gentleman british et la moustache qui va avec, l’ancien provo des années 68 va finir par regretter d’avoir été désigné pour être le Président du FIBD 2014.
Willem, Grand Prix d’Angoulême 2013 (Photo NR, Jerome Dutac)
Case Départ, qui était évidemment à Angoulême, va essayer de résumer une situation que d’aucuns auraient volontiers qualifiée d’abracadabrantesque !
Ceux qui sont dans le secret des dieux (les dieux étant réunis dans cet Eden qu’est l’Académie des grands prix) ont déjà commencé à révéler ce qui, au final, aura permis de départager cette plume tout aussi satirique que batave et un mangaka nippon mondialement connu. Et si l’on en croit les rumeurs du net, et les torrents (impressionnants) de commentaires qu’elles entraînent, ce n’est pas très brillant.
1) On avait cru comprendre, au départ, que dans l’esprit des organisateurs, ce scrutin démocratique à deux tours – grande première dans un festival qui pendant treize années consécutives (1976-1989) avait, par exemple, connu un jury quasiment inamovible – permettrait peut-être de récompenser un grand auteur étranger. On ne se nomme pas festival « international » pour rien.
2) Les cinq finalistes sortis des urnes (537 votants sur 1.500 auteurs présents, ce dont se félicite la direction du Festival, alors que d’autres échos affirment qu’il a fallu aller chercher un à un des professionnels pas au courant de cette nouvelle méthode de vote) correspondaient tous à cette attente : Alan Moore (GB), Chris Ware (USA), Katsuhiro Otomo (Jap.) ainsi que Akira Toriyama (Jap.) et Willem (NL), le plus français de tous les dessinateurs néerlandais. Honnêtement, ça avait une certaine gueule !
D’après la plupart des sources sérieuses (comme on écrit dans les grands agences quand on ne veut pas dire qu’on a des infos venues de l’intérieur) il semble qu’avec pas mal de votes blancs, c’est en fait le père de Dragon Ball, Toriyama, qui était arrivé en tête au nombre de voix. Mais…
3) Est-ce l’esprit frondeur de l’époque qui a aiguillonné le jury (un petit coup de barre contestataire, histoire de retrouver l’esprit de Reiser ou de Wolinski, tous deux à cheval entre dessins de presse et BD et tous les deux Grands prix ) ? Est-ce une réaction bien française face à l’avalanche manga qui demeure incompréhensible pour beaucoup d’Occidentaux (dans les commentaires sur internet, on trouve même des formules beaucoup radicales pour juger l’ostracisme « anti-Dorothée » des membres du jury) ? Est-ce, mais on entre là dans du « chaud bouillant », selon les révélations twittérisées de Lewis Trondheim – membre de l’Académie – parce que les grands prix (ils étaient une quinzaine !) qui avaient à faire le choix définitif NE CONNAISSAIENT PAS les quatre autres postulants ? Et que, par conséquent, comme l’a twitté Pénélope Bagieu, Willem serait un grand prix par défaut ?
Bigre ! Angoulême nous a habitué à de jolies empoignades autour de la censure (du Crapaud Baveux, aux accrochages hollandais décrochés du Musée, en passant par Reiser – tiens, justement ! – allant parlementer avec la police pour faire libérer des punks un peu trop exubérants), mais pas à cette forme sophistiquée d’auto-censure d’une Académie, qui devant la virulence des réactions, va devoir s’expliquer.Déjà les internautes réclament une modification du scrutin ; déjà on ressort les « vieilles » (pour ceux qui savent que le débat revient sur le tapis presque tous les ans) réflexions sur le rôle (et la composition) du jury, le rôle des prix, le rôle du Grand prix, le poids de la tradition franco-belge, la place d’Angoulême et l’éternel débat sur commerce et liberté, fric et indépendance (ou interdépendance), etc. Et les fans dans tout ça qui ne se posent pas (ou guère) ce genre de questions.
Reste qu’en attendant un 41e festival avec un nouveau directeur artistique et un Président franco-hollandais quasi inconnu du grand public (mais faut-il désigner obligatoirement un Grand prix qui soit un auteur grand public – voir les questions ci-dessus ???), le reste du palmarès était, lui, à la hauteur de l’événement.
(Photo NR, Patrick Lavaud)