En partant à Berlin, la semaine dernière, j’ai mis la main à l’aéroport de Roissy sur la dernière livraison de Casemate, un mensuel consacré à la BD. J’y ai trouvé une longue interview de mon père qui m’a rappelée des souvenirs heureux, un peu enfouis, que j’aimerais partager avec vous.
À propos des Prix Albert Uderzo (et pas les « Prix Sangliers », comme cité dans l’interview, même s’ils étaient représentés par la statuette d’un sanglier assis) sur lesquels revient mon père, je précise qu’ils avaient été créés pour répondre à un besoin : reconstruire des passerelles entre les artistes de la BD et mon père, une autre époque. Les premiers pensaient que mon auteur de père était une icône inaccessible, le second qu’il était définitivement coupé de ses congénères.
A l’époque, nous estimions que l’isolement dans lequel son entourage le tenait, ne pouvait avoir que des conséquences malheureuses… Aussi, lorsqu’une équipe est venue, au début des années 2000, nous proposer d’associer mon père à leur nouveau projet de Salon de BD à Nîmes, nous avons dit banco ! Ils en avaient été très surpris. La ville s’étant mobilisée grâce au parrainage qu’accordait mon père, le salon avait pu voir le jour en 2003.
C’est dans ce cadre que les Prix avaient été imaginés. Pendant trois ans, des douzaines d’auteurs ont pu y participer, des dizaines de milliers de visiteurs ont pu venir y rencontrer d’éminents représentants du 9ème art. Malheureusement, les différents intervenants politiques locaux n’ont pas pu ou voulu passer à la vitesse supérieure qui était le contrat moral que nous avions passé avec les organisateurs. Logiquement, mon père nous a donc dit qu’il ne souhaitait pas retourner une quatrième année de suite assurer le parrainage du salon…
C’est nous, ensuite, qui avons proposé à mon père, il faut rendre à César ce qui est à César, de poursuivre les Prix sans les attacher à une quelconque manifestation. Aussi, pour faire « Goncourt », le prix célébré chaque année au restaurant Drouant, nous avons traversé la petite place Gaillon et avons proposé à Gérard Depardieu, dont le restaurant fait face au Drouant, de nous accueillir pour organiser les remises des Prix Albert Uderzo…
Photo de gauche : François Boucq, Sylvie et Albert Uderzo, Tibet, Baru et Steve Cuzor (Prix Albert Uderzo 2006) ; photo de droite : Albert Uderzo, Gérard Depardieu et Adamo (2007)
Le fait que nous ayons choisi La Fontaine Gaillon a convaincu mon père de poursuivre l’opération deux ans de plus, avant que l’histoire ne s’écrive autrement. Gérard a assisté en chair et en os d’Obélix aux deux remises de prix, 2006 et 2007. Si certains estiment qu’il a tel ou tel défaut, tel ou tel travers etc., je peux vous dire que l’homme mérite d’être connu. Quand il ouvre son cœur, il le fait à fond. Et je le remercie encore de la confiance et de l’amitié qu’il nous a témoignées à cette occasion. Ça, c’était pour les prix Albert Uderzo qui ne se sont donc jamais appelés « Sangliers »…
Par ailleurs, je ne commenterai pas les propos tenus par mon père quant à son début de mécontentement visant les pratiques éditoriales d’Hachette… En effet, lorsqu’il dit « ces grosses maisons sont efficaces pour les grosses sorties, mais des tirages modestes ne les intéressent pas. Tous les bouquins parallèles que j’ai sortis chez elles ont été un désastre. Les services de vente s’en fichent. À l’époque, avez-vous vu une seule ligne de promotion sur mon autobiographie parue chez Stock ?… » Pour moi R.A.S… !
Moi, je serai “Nono”, petit surnom attribué par la presse à Arnaud Lagardère, patron du groupe Hachette, donc chef de mon p’tit frère de papier, j’abandonnerais pour un temps les séances trognons avec sa nouvelle compagne qui cadrent assez mal avec ses responsabilités… C’est pas moi qui le dit, c’est le Nouvel Observateur de la semaine dernière ! Ben oui, il a dû oublier qu’il préside, en plus du village d’Astérix, le conseil d’administration du groupe EADS, dans lequel l’Etat français a de sérieux intérêts ! Selon ces sources bien informées, l’establishment des affaires pense qu’il devrait même quitter la direction de ses entreprises. Ces propos n’engagent qu’eux, naturellement… C’est mon père qui doit être content !
À Berlin, sans faire, naturellement, le moindre parallèle, le mur dont j’ai revu des vestiges encore dressés, le mémorial de l’holocauste et aussi les musées qui nous rappellent ce que “l’homme” a fait ou défait, nous disent tous une seule et même chose : un jour ou l’autre, l’histoire se raconte. Parfois, comme cela a été le cas en Allemagne, lorsque la folie des hommes atteint un tel niveau de terreur et d’horreur, il faut une génération, voire plus, pour que la vérité́, seule thérapie globale, devienne officielle. Parfois, lorsque ne sont pas en jeu des vies humaines, il faut moins longtemps…
Allez à très vite
Sylvie Uderzo