Le passage 1

Par Emia

1.

Nous nous promenions dans une brume floconneuse. C’était l’hiver. Elle marchait à ma gauche, aimable blonde anguleuse, il se tenait à ma droite, bien moins bavard qu’elle. Nous allions sur une route bordée de villas, de jardins, de pins, de cèdres. Il faisait froid et humide. Des haies au feuillage clairsemé filtraient nos regards sur les vieux murs, les toits, les fenêtres, les portes, les volets.

Nous sommes descendus jusqu’à la berge, nous avons emprunté un passage, un escalier, un pont. Voici le lac, couvert jusqu’au loin de brume pour ne ressembler plus à rien, et voilà, parmi les mots que nous échangeons, un silence ouaté, semblable à ce qui tremble, là-bas, à la lisière : une promesse. Ou encore : une maison, un manoir, un château… Je cherche à voir, dans l’eau ou dans une vitre, le reflet d’une chambre, mais j’aperçois deux enfants accroupis devant un garage, figés de se savoir vus. Les doigts rougis d’une femme saisissent la poignée d’une porte. Ça fait un bruit de gravier, de métal, et il y a un peu de fumée  –  je crois entendre un coup de feu. Les enfants ont disparu et un chien est apparu en haut de la pente que nous nous apprêtons à gravir.

L’air fraîchit encore. Ils parlaient, je les écoutais en regardant les villas vastes, hautes, roses ou blanches, où apparemment l’on ne vivait guère.

- Ne crois pas que je veuille acheter, a-t-elle dit en riant.

Ils possédaient déjà une grande maison près de Nisibe, qui paraissait plus vide encore depuis que leur fils aîné était parti étudier à Lotos. Il y avait là un tapis rouge, du mobilier antique, une façon d’entrer, d’ôter son manteau, de prendre place…

Il regardait les maisons entourées d’arbres de botanistes. Enfant, c’était ainsi qu’il les appelait : cela avait été une question, il en rêvait, il avait observé sans comprendre.

La brume se dissipe. Lentement, très lentement, silencieusement, ils prennent feu. Ils brûlent en bruissant à peine, près d’une pelouse, deux cylindres de flammes tièdes et pâles. Les voyant ainsi, je ne ressens plus rien : ni peur, ni joie, ni tristesse. Alors qu’ils se consument, les maisons une à une sombrent dans la grande eau noire des feuillages et des pierres mêlés. Le lac scintille brièvement ainsi qu’une étendue de sable, puis le soleil disparaît.

Quand il ne restera plus rien, je rentrerai.


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