Du rétro aux effluves contemporains : voilà ce que propose Laurent Cantet pour son après Palme d’or. En effet, situées tout droit dans le sillage des formes et thématiques déjà développées dans Entre les murs (acteurs non professionnels, étude poussée de la dynamique d’un groupe), les jeunes héroïnes de Foxfire, vengeresses fifties et vraies rebelles, sont les versions premières des Femen et autres Pussy Riot d’aujourd’hui : des ados en colère arborant un féminisme à l’état originel, avant même que le mouvement ne porte ce nom-là. En adaptant le roman de Joyce Carol Oates, le français Cantet (qui tourne ici en langue anglaise) suit un groupe de filles engagées, tout aussi déterminées à punir les hommes de leurs bassesses qu’à revitaliser leur condition de femmes dans ce quartier populaire et paumé des Etats-Unis. On est en plein dans les années 50, avec son lot de machisme, de patriarcat puant et d’humiliations générales faites à l’encontre des femmes (de l’oncle au prof, du frère au petit-copain, tous sont esquissés sans pitié par le cinéaste). Pourtant, le film est éminemment contemporain dans sa façon de disséquer les mécanismes communautaires, leurs forces et leurs limites. Mené par la jeune Legs (Raven Adamson), le gang féminin ne tardera pas ainsi à voir son utopie s’effriter face aux amères réalités : difficile de protéger l’intérêt commun face au bien-être individuel, difficile de discerner les frontières ténues entre le bien et le mal, l’engagement et le terrorisme. Cantet nous invite alors à un bel essai, soigné et sans fioriture : l’idéologie doit-elle être revue au nom de la morale ? A quel moment bascule-t-on du politique à la terreur ?
Formellement, Cantet a toujours été un candidat du minimalisme et de la discrétion. Pas de surprise donc dans ce Foxfire tout calme et tout tranquille : rien ne dépasse, les drames se passent derrière des portes (le calvaire de Legs en maison de correction, le viol de l’une des filles), les douleurs se masquent derrière des pancartes ou des tags. Le cinéaste parvient alors merveilleusement bien à doser (pas d’édulcoration) et nuancer (pas de parti pris) son propos dans un décor crédible et jamais poussiéreux ; il n’y a ni méchant, ni gentil, juste les victimes d’une époque, et d’un inconscient collectif articulé depuis toujours autour des idées religieuses, comme le suggère par ailleurs la séquence d’ouverture où une jeune fille est malmenée par des garçons agitant un serpent. Serpent en symbole à la fois biblique et phallique. Là où Foxfire se révèle le plus intéressant c’est lorsqu’il abandonne un instant la démonstration systématique des formes que prennent l’ascendance des figures masculines du récit sur les femmes pour s’interroger plus largement sur les véritables menaces que rencontre la conviction idéologique au sens large, et le féminisme plus particulièrement (« certaines femmes sont-elles aussi nos ennemies ? », ira jusqu’à s’interroger la leader). Leur combat n’était-il qu’un leurre ? Qu’un rêve impossible ? Qu’un fantasme naviguant en sens contraire de la nature humaine et des fondements sociétaux (l’argent, la famille, le travail) ? Cantet, dans un final de toute beauté, y répond de manière plus poétique : les idéaux sont comme une flamme, qui s’éteint sans prévenir.