Une salle de shoot va ouvrir à Paris. Matignon a donné son accord, le 5 février 2013, à ce qu'une expérimentation soit menée. Depuis des années, le débat a été plus que tendu entre partisans des salles d'injection et opposants à ce dispositif, lesquels assurent que ce n'est pas à l'Etat d'organiser une pratique illégale.
Cette première expérimentation en France d’un projet qui a déjà été testé et approuvé dans de nombreux pays, où l’implantation de la mesure s’est accompagnée de vifs débats.
La France ne déroge pas à la règle : « une défaite morale » et « une incitation à violer la loi »,pour Henri Guaino, « de l’empoisonnement assisté » et de la « non assistance de personne en danger »,pour Valérie Pécresse. Gilbert Collardpropose quant à luides « salles de viol, de vol et de crime ».
Le patron des députés UMP, Christian Jacob, fait galement partie de ceux qui sont rigoureusement contre l'ouverture de ces salles de consommation. Il l'a répété le 6 février 2013, au micro de France Info, quitte à faire usage d'arguments discutables.
Ce qu'il a dit : "L'Etat va s'occuper d'organiser la consommation de stupéfiants. Et dans tous les pays, d'ailleurs, où ça a été réalisé, beaucoup de pays font marche arrière et partout, ça s'est traduit par une augmentation de la consommation. Ça a apporté parfois quelques solutions sur le plan sanitaire, mais il n'empêche qu'on a augmenté la consommation de stupéfiants. Est-ce que c'est vraiment le rôle du gouvernement ?"
Pourquoi c'est faux :
1/ Une expérimentation recommandée par les experts de l'Inserm
Une expertise collective menée par l'Inserm en 2010 a été commandée par le ministre de la santé d'alors, Roselyne Bachelot. Ce rapport de près de 600 pages ne concerne pas que les salles de shoot – appelées centres d'injection supervisés (CIS) –, mais toutes les stratégies de réduction des risques associés à la consommation de stupéfiants.
Les auteurs du rapport restent très prudents, mais préconisent une expérimentation :
"[Le groupe d’experts recommande] sous réserve des besoins, d’envisager la mise en place de CIS en France. Il recommande de mener une étude des besoins pour l’ouverture d’un CIS afin de définir les objectifs spécifiques de ce dispositif (diminuer les overdoses mortelles, diminuer le nombre d’abcès, attirer des injecteurs à haut risque pour les (re)mettre en contact avec des structures de traitement...)."
Malgré cet avis, le premier ministre François Fillon avait jugé qu'ouvrir un tel lieu n'était "ni utile ni nécessaire".
2/ Seule l'Espagne fait marche arrière, pour des raisons financières
C'est en Suisse que la première salle de shoot a été légalement ouverte en 1986. Ont suivi : l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Australie et le Canada.
Seule l'Espagne a fermé un centre, comme le rappelle FTVI, citant le quotidien La Vanguardia, non pas en raison d'un revirement sur la méthode, mais à cause des difficultés financières du pays. "Ce ne sont ni des doutes sur le service rendu, ni d'éventuelles altercations aux alentours qui sont en cause, mais bien la crise économique", analyse le quotidien.
3/ La consommation de drogue injectable n'augmente pas
Evaluer l'évolution de la consommation d'un produit stupéfiant, et a fortiori la causalité entre un facteur précis et une évolution éventuelle, est chose complexe.
Contrairement à M. Jacob, les chercheurs spécialistes des consommations de drogues restent plus que prudents.
Les études citées dans le rapport d'expertise de l'Inserm (p. 220) "suggèrent donc que les centres d'injection supervisés ne conduisent pas à une augmentation des personnes qui s’injectent et de la fréquence d’injection".
Ou encore : "Il n’existe pas de preuve que la présence de CIS augmente ou diminue la consommation de drogues chez les usagers ou dans la communauté ou bien qu’elle augmente les rechutes chez les usagers de drogues en traitement."
Aux Pays-bas, où il existe 45 CIS dans 30 villes, "les données disponibles montrent un déclin du nombre d'utilisateurs d'opiacés depuis le début du siècle. Le vieillissement des usagers, ainsi que l'impopularité de ces drogues chez les consommateurs plus jeunes, peuvent expliquer cette tendance", explique l'EMCDDA (European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction). Quant à l'Allemagne, le même organisme considère la consommation de drogues injectables comme stable alors que 25 CIS ont été ouverts. En Norvège, où un centre a été ouvert, "le nombre d'usagers de drogues injectables a augmenté jusqu'à 2001, puis il a décru jusqu'à 2003 avant de rester stable jusqu'en 2009".
Une partie de la classe politique s'oppose avec vigueur, et depuis des années, à l'ouverture de salles d'injection. A l'instar de ceux de M. Jacob, certains arguments employés sont à la limite de la vérité, voire complètement faux. Mais à près d'un an des municipales, M. Jacob sait pertinemment que ses arguments, même inexacts, seront sans doute entendus par les futurs riverains de cette salle de shoot.
Jonathan Parienté (dans decodeurs.blog.lemonde.fr)