Traces de passage

Avant, on avait des bouts de papier dans sa poche, on gribouillait sur un carnet. Maintenant, avec un portable, on peut aussi noter et y revenir plus tard. Noter quoi ? Des traces, ces choses qu'on ne voit pas habituellement, qui n'attirent pas le regard, ou dont on se d??tourne volontairement ou non. Mais qui, d'un seul coup, vous sautent aux yeux. Les graffitis, par exemple. Je suis longtemps pass?? ?? c??t?? sans les voir. Depuis quelque temps, ils m'interpellent et je ne vois plus que ??a. Non que j'approuve forc??ment cette pratique, mais ces traces urbaines sont int??ressantes ?? observer. 
Evidemment, on est loin des graffitis de Pomp??i ou des inscriptions de Restif de la Bretonne sur les parapets des ponts de l'??le-Saint-Louis. Ou du c??l??bre "Kilroy was here", dont la pr??sence accompagn??e d'un dessin est toujours hilarante (ci-contre). A son propos, je me souviens d'avoir vu dans les toilettes d'une gare anglaise une parodie qui disait :
?? I clap my hands
  and I jump for joy
  Cause I was here
  Before Kilroy ??
Maintenant, on manie la bombe a??rosol, l'a??rographe, le pochoir (comme la fameuse Miss.Tic), le diamant (sur les vitres du m??tro...), le marqueur, voire la mosa??que (comme Space Invader), voire, tout simplement, le stylo ou l'autocollant. Trouver des signes ?? d??crypter l??-dedans n'est pas facile. Mon premier regard int??ress?? sur ces sujets a justement ??t?? provoqu?? par des autocollants appos??s sur une poubelle rue Saint-Honor??, ?? Paris.

De loin, on aurait dit des personnages de dessins anim??s japonais, genre Hello Kitty. De pr??s, on voyait un m??lange d'autocollants publicitaires vantant Akli D, artiste alg??rien autoproclam?? "Kabyle mental", de papiers dessin??s, d??coup??s et coll??s, et de formulaires "Courrier prioritaire" r??cup??r??s ?? la poste du Louvre toute proche et d??tourn??s de leur fonction premi??re. Je vais s??rement au mieux faire ricaner, au pire me faire quelques ennemis suppl??mentaires, mais l'ensemble pos?? sur le fond vert de la poubelle m'a s??duit, au sens premier du terme. C'est-??-dire qu'il m'a fait changer de route. J'ai vu ces couleurs et je les ai trouv??es fra??ches. J'ai aim?? les visuels. Je ne dis pas que c'??tait la d??couverte du si??cle, ni que j'aurais d?? embarquer la poubelle en question (j'ai juste fait une photo au portable). Simplement, ?? partir de ce moment pr??cis, mon regard sur ces images a chang??. J'ai essay?? de d??couvrir ce qu'il y avait derri??re. Qui les signaient. Comment elles ??taient r??alis??es. O?? elles se trouvaient. Dans quel ??tat elles ??taient. Je ne tiens pas ?? devenir le conservateur, n'ayant aucun attachement aux objets. En outre, leur aspect ??ph??m??re les condamne ?? une disparition certaine. J'ai pr??lev?? quelques "??chantillons" ??a et l??, au gr?? de mes balades, et je les ai gard??s dans mon portable. Voici quelques-uns de ces ??chantillons. 
D'abord, cette fresque rue Clavel ?? Paris. Elle est situ??e tout contre le th????tre du m??me nom. Les guidons des motos et v??los d??collent la peinture ?? mi-hauteur. Celle gar??e devant ce soir-l??, et le poste de t??l??vision abandonn?? avaient l'air de faire partie de la composition, un personnage semblant d??signer le poste et un autre chevaucher le destrier m??canique. Je r??sume : une tr??s belle fresque, probablement une commande, sign??e (illisible, au milieu, en haut) repr??sentant la rue Clavel en perspective avec ses magasins aux devantures tagu??es, des tags par-dessus, un dessin rajout?? qui a ??t?? recouvert ?? la peinture, des d??bris urbains et des v??hicules qui donnent une nouvelle perspective ?? l'ensemble, soit pour l'abimer ou la d??truire, soit pour lui donner un relief inesp??r??.
Deuxi??me trace, ce papier encr??, d??coup?? et coll?? rue du Jour, toujours ?? Paris. ??a para??t presque trop beau pour ??tre vrai. Je me demande d'ailleurs si la boutique de mode toute proche n'est pas ?? l'origine de cette composition trop artistique pour ??tre honn??te. L'??trange machine para??t sign??e (ou "retagu??e") "Deedz". La silhouette humaine est paraph??e (avec la m??me incertitude) "Dr??me ?? der"... Le scooter gar?? devant donne une esp??ce de profondeur ?? l'ensemble.
Derni??re trace, aper??ue ?? Thonon-les-Bains, sur la vitrine d'un magasin d??saffect??, dans une des rues pi??tonnes. Cette s??rigraphie qui fait au moins 2 m??tres de haut et de large a ??t?? lac??r??e, tagu??e. Le vent et la pluie ont fait leur ??uvre. Le regard du personnage attire l'??il (le mien, en tout cas...). On sent l'??l??ve des Beaux-Arts derri??re la composition et les bandes bleues et noires qui strient l'image. Quelques graffitis sans rapport sont venus s'interposer sur la vitrine et la composition anonyme.

Que dire de tout ??a : une volont?? louable de se montrer, de montrer son ??uvre, de l'int??grer dans son milieu de r??f??rence. De s'approprier des espaces, de marquer son territoire aussi, de fa??on volontaire ou non. Ce qui m'am??ne ?? des traces d'une autre nature (c'est le cas de le dire...) aper??ue en Normandie, cette fois.

Sous la forme d'empreintes de pas griffus dans la boue, de coul??es dans les herbes convergeant vers une entr??e de terrier, de d??jections ??a et l??. C'est plus facile ?? identifier : Monsieur Blaireau nous montre sans complexe les chemins o?? il a ses habitudes, signe son passage avec ses crottes, indique par o?? il dispara??t sous la terre. Le terrain ??tant sous notre juridiction, l'animal est d??sormais prot??g??. Car ailleurs, on le chasse sans piti??, lui et ses cong??n??res, pour de suppos??s d??g??ts aux cultures de ma??s. Je vous fais gr??ce des images de massacres de ces must??lid??s, trouv??es sur des blogs anti ou pro-chasse. Sachez que comme tout bon chasseur, il faut chasser avec son chien, et que le Jack Russel terrier n'a pas son pareil pour aller d??busquer la bestiole. Tout cela est affligeant. 

Entendons-nous bien : je ne fais pas le parall??le entre les traces du blaireau et les graffitis. Simplement, je trouve ??trange que certains artistes laissent volontairement des traces qu'on ne voit pas toujours, pour leur malheur. Et que le blaireau laisse volontairement des traces qu'on voit, pour le sien.