L’inépuisable one-man show de Michael O’Leary, sans cesse renouvelé et prolongé, est tout simplement inépuisable. Et qu’on pratique l’humour irlandais ou pas, il est rare qu’il fasse rire les Continentaux que nous sommes. L’homme est tout simplement too much. Ainsi, il a récemment dénoncé publiquement l’insuffisance notoire de son salaire, 100.000 euros par mois, un niveau dérisoire, dit-il, quand on dirige une compagnie aérienne qui transporte 80 millions de passagers par an. Il a aussi évoqué ses récentes vacances, qu’il a qualifiées lui-męme de perte de temps. Puis il a ajouté qu’en se déplaçant avec sa femme et ses quatre enfants, et en voyageant bien entendu avec Ryanair, il a dű acquitter de trop coűteux excédents de bagages ! Bref, l’homme agace, son vocabulaire peu châtié déplait, son accent irrite. Sans parler des propos excessifs qu’il utilise dans sa tentative de racheter Aer Lingus, sans doute pour le principe, pour le plaisir de narguer tout Dublin, donner une leçon ŕ ses notables.
Face ŕ ces excčs, il y a un modčle économique qui accumule les succčs. Et cela en s’écartant résolument des sentiers battus, par exemple en mettant au sol non moins de 80 Boeing 737, au cœur de l’hiver, quand la demande faiblit. Moyennant quoi le chiffre d’affaires se tasse provisoirement, pour ensuite mieux repartir ŕ la hausse. Au cours du troisičme trimestre de l’exercice fiscal 2012/2013, Ryanair a dčs lors enregistré une toute petite progression de 3% de son chiffre d’affaires, le bénéfice obtenu, moins de 15 millions d’euros, ayant été pour le moins modeste. Mais il en résulte une image parcellaire et tout ŕ fait trompeuse de la bonne marche de l’entreprise.
Tout au contraire, en effet, Ryanair vient de revoir ŕ la hausse des prévisions de rentabilité qui étaient déjŕ enviables. L’année en cours, qui sera clôturée fin mars, devrait en effet se terminer sur un bénéfice de 540 millions d’euros (plus d’un demi-milliard !) pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 4 milliards. Ce sont lŕ des repčres qui laissent les analystes tout ŕ fait ręveurs, des résultats que ne connaissent pas les autres compagnies, pas męme celles réputées en bonne santé. Cela dans un contexte dont l’euphorie a disparu, la progression de la demande étant dorénavant limitée.
O’Leary n’en affiche pas moins une tranquille assurance. Il estime que Ryanair se dirige tranquillement vers un trafic de 120 millions de passagers par an, dans le cadre d’une croissance parfaitement maîtrisée, et sur base d’une organisation qui ne devrait gučre évoluer, la formule des Ťbasesť décentralisées ayant largement donné la preuve de son bien-fondé. La 51e d’entre elles vient précisément d’ętre créée ŕ Maastricht, six autres le seront en avril, notamment en Grčce et au Maroc, confirmant ainsi que des lignes plus longues que le réseau initial de base entrent dorénavant dans la sphčre d’action de la compagnie.
Le contrôle des coűts reste exemplaire, le tarif moyen restant de 56 euros, hors recettes annexes, lesquelles sont en augmentation réguličre. C’est un niveau hors de portée des concurrents, y compris les autres low cost, tout au moins s’il s’agit d’obtenir une rentabilité sonnante et trébuchante.
Fort heureusement pour ses concurrents, Ryanair dessert uniquement des lignes de point ŕ point, et au départ et vers des plates-formes secondaires. Beauvais et non pas Paris, Carcassonne en lieu et place de Toulouse, etc. Mais avec de solides exceptions comme Marseille, lŕ oů des aérogares dédiées aux petits prix sont disponibles. Finalement, on assiste ŕ l’apparition d’une nouvelle étape de démocratisation du transport aérien, qui n’avoue pas son nom, mais qui tend peu ŕ peu ŕ occuper toute la place. Moyennant quoi O’Leary a bel et bien acquis une forme de respectabilité que personne ne pourra lui enlever.
Pierre Sparaco - AeroMorning