Une nouvelle ligne politique de sécurité routière : les pilotes de scooter mourront désormais en toute légalité.
Par Thibault Doidy de Kerguelen.
Probablement vous souvenez-vous de ce passage du Petit Prince de Saint-Exupéry dans lequel le monarque d’un monde factice ordonne au Petit Prince de faire… ce qu’il veut. Allégorie de ces hommes de pouvoir qui n’en sont pas et qui, pour donner l’impression de diriger le monde ne font qu’entériner les actes, mêmes désordonnés, de leurs sujets. Nous vivons une époque qui quotidiennement illustre ce principe de faiblesse. Mais ce n’est pas de l’ouverture de salles de shoot, illustration paroxysmale du principe, que je souhaite vous entretenir, mais de… sécurité routière !
Légalisation de la circulation inter-files
Dans son rapport de 154 pages, le préfet Régis Guyot, responsable du groupe de travail sur la sécurité des deux roues dépendant du ministère de l’Intérieur, visant à améliorer la sécurité routière des deux roues, fait un amer constat : 86% des 537 accidents de motos dénombrés en moyenne chaque année en Île-de-France entre 2005 et 2011 concernaient des situations d’inter-files (circulation des motards entre les files de voitures). Sur la même période, cette pratique a représenté, en Île-de-France, 79,46% des blessés hospitalisés et 89,43% des blessés légers (sachant que l’IDF regroupe 22,45% de la totalité des motards blessés hospitalisés et 51,66% des motards légèrement blessés à l’échelon national). Des chiffres terribles.
Que préconise le préfet ? Légaliser la pratique ! « Cette circulation inter-files, en progression constante dans les grandes aires urbaines, est aujourd’hui tolérée de fait. Il paraît peu réaliste, politiquement, psychologiquement et pratiquement, de revenir en arrière, mais il n’est pas plus envisageable de rester durablement dans cette situation juridiquement confuse », souligne le préfet Guyot dans son rapport. « Il paraît possible, et même préférable, de la reconnaître, l’encadrer et l’enseigner.»
Autrement dit, puisqu’on ne peut pas ou qu’on ne veut pas les empêcher de se tuer, au moins, qu’ils meurent « légalement » !
Quelques conditions pour se donner bonne conscience
Hors agglomération, le préfet propose donc d’autoriser la circulation inter-files sur les routes départementales à double sens, et « sans séparation centrale à configuration autoroutière ». En agglomération, la pratique serait autorisée « dans une situation d’arrêt des files de véhicules ou de circulation au pas », c’est-à-dire au feu de signalisation ou en cas de bouchon. Dans ce cas, la vitesse autorisée ne devrait pas excéder 30 ou 40 km/h.
Seuls les scooters et motos de plus de 125 cm3 à 2 ou 3 roues, ainsi que les scooters à 3 roues y seraient autorisés. La pratique resterait donc interdite aux vélos et aux cyclomoteurs.
Histoire de ne pas s’arrêter à un tel aveu de faiblesse et parce que deux précautions valent mieux qu’une, le rapport préconise aussi le renforcement de la sécurité des conducteurs et passagers de deux-roues, quelle que soit la catégorie de cylindrée. Il s’agirait par exemple d’imposer le port des gants à moto, puis « d’inciter au port systématique des équipements de protection » (blouson, protections dorsale et lombaire, gilet airbag, chaussures montantes) ou encore d’imposer aux sociétés de moto-taxis la fourniture à leurs clients d’un équipement de protection individuelle offrant une protection adaptée à leurs trajets (casque intégral, gants, blouson, veste ou gilet de protections dorsale et lombaire).
Automobilistes, à vos porte-monnaies !
Inutile de vous dire que les motards, du moins ceux qui utilisent quotidiennement leur deux roues et font du gymkhana entre les voitures applaudissent des deux mains ! La mise en place de files réservées ? Trop cher, mieux vaut laisser le risque comme il est et le légaliser, cela permettra désormais de faire peser l’intégralité des coûts sur l’assurance de l’automobile qui, dès lors que la circulation inter-files est autorisée se trouve de facto systématiquement en tort lorsqu’elle shoote un deux roues ou ne lui laisse pas la place nécessaire pour circuler… Cela entraînera une augmentation des prestations d’assurance et… devinez, une augmentation des primes d’assurance pour les automobilistes !
Je rêve du jour où le préfet Guyot, poursuivant sa logique implacable reconnaîtra que malgré vingt années de répression, les Français, incorrigibles, continuent à ne pas respecter les limitations administratives de vitesse et proposera de légaliser les excès de vitesse… Évidemment, dans un cas l’État économise, dans l’autre il se crée un manque à gagner, alors…
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