Depuis les premières manifestations en Tunisie, en décembre 2010, la question aura toujours été la même pour l’ensemble des pays attrapés par la vague révolutionnaire : que va faire l’armée ?
Comme si les militaires avaient entre les mains à la fois le destin de la dictature ébranlée et l’avenir d’une démocratie exigée par le peuple. Au Moyen-Orient, l’armée n’est pas un acteur à négliger : elle est partout, à tous les niveaux décisionnels. Pourtant, le rôle des soldats dans les nations arabes a été largement ignoré par les chercheurs. Peu d’analyses existent, du moins en langue française, sur la question. L’ambition de ce dossier est de relancer le débat sur le poids des forces armées dans les sociétés moyen-orientales.
Les révolutions du "printemps arabe" constituent pour les militaires un véritable défi. Autrefois à l’origine des soulèvements contre un régime honni, comme en Égypte en 1952 ou en Irak en 1958, les officiers exerçaient la réalité du pouvoir, beaucoup de pays arabes ayant eu un dirigeant issu de l’armée. Les sciences politiques ont une expression pour désigner cette situation : l’"État profond", dans lequel les généraux ont pour fonction de protéger (ou de commander) les autorités en place. En 2011, pour la première fois depuis des décennies, ces mêmes militaires doivent affronter des processus révolutionnaires et de transition démocratique qu’ils ne contrôlent pas totalement. Dans les pays où les soulèvements n’ont en apparence pas pris, comme en Arabie saoudite, les gouvernements restent vigilants, choyant leurs militaires. Pourquoi ? Riyad répondra qu’il faut se protéger face à l’Iran, face à Israël. Les opposants de tous horizons dénonceront les moyens de la répression intérieure. L’Irak post-Saddam Hussein a par ailleurs démontré la nécessité d’une force chargée de la sécurité, au risque de tomber dans le chaos.