Handicapés, déficients intellectuels, attardés, malades mentaux, personnes à... il y a des mots sur lesquels on butte parce qu'ils appartiennent à une époque trop lisse, d'autres à une époque où le malade était un fou. Au Creativity Explored, c'est simple, on les appelle des artistes. C'est une galerie sur laquelle je suis tombée par hasard et qui m'a valu déjà plusieurs visites depuis mon arrivée. À l'arrière se trouve un atelier gigantesque accueillant plus de 120 artistes chaque semaine. Le lieu est étourdissant, et magnifique.
La première fois que je suis passée, c'était un dimanche. Chelsea Wong, à l'accueil (entre parenthèses, une illustratrice super talentueuse, ça vaut le coup de faire un tour sur son site), a pris le temps de m'expliquer le fonctionnement et le but du lieu. Elle m'a laissé me promener parmi les oeuvres, prendre des photos, m'a expliqué l'histoire ou la personnalité de certains artistes, et m'a invitée à revenir le lendemain pour voir l'atelier en action.
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Le lendemain, l'impression qu'ils m'ont faite est encore palpable, presque visible. Déjà, c'était troublant, de parler avec eux dans une langue étrangère. C'était comme si nous partagions le même handicap, de la communication. Et de les voir travailler aussi, méthodiquement, passionnément. Certains viennent ici quatre jours par semaine depuis trente ans, répéter ce geste qui n'a d'autre but que lui-même. Parce que, si quelques uns se soucient de leur vente (ils touchent 50 % comme dans les autres galeries), la plupart ne se préoccupent pas de l'après. Chelsea me disait qu'elle regrettait qu'ils n'arrivent pas à jauger leur talent: «On leur annonce qu'ils ont reçu un prix prestigieux, ils haussent les épaules et repartent dessiner. Ca ne signifie rien pour eux». Je ne crois pas que ce soit un problème. Non, il n'est pas là le problème.
J'y retourne cette semaine. Pour assister à un cours. Car leur approche pédagogique m'intrigue. Du peu que j'ai vu, on dirait que toute relation de pouvoir ou de domination est gommée. Aucune condescendance. Pas d'illusions.
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En attendant, et même si ça n'a rien à voir avec ma thèse, voici quelques oeuvres sur lesquelles j'ai accroché:
Les dessins de Andrew Li, pour lesquels j'ai eu un véritable coup de coeur. J'aime le trait rapide au feutre, le détail des visages, l'impression d'arrêt sur image, et la répétition excessive de certains patterns (souvent des animaux)
Les incroyables histoires de James Miles
Elvis, Bob Marley, Mary Poppins, Abraham Lincoln de Walter Kresnik
Les portraits de Thomas Pringle
Les «carottes saumon» de Evelyn Reyes, qui créé toujours les mêmes patterns selon la même routine, presque un cérémoniel qui ne supporte aucun écart. On peut l'acheter version papier cadeau, et j'avoue imaginer facilement le pattern sur un sac, un coussin ou une petite robe. Mais j'en parle surtout pour l'impact qu'a eu sur moi le fait de la voir dessiner, et de voir cet amoncellement de feuilles sur lesquelles des «carottes» de toutes les couleurs sont répétées avec le même soin. Ça m'a ramené au simple geste, du premier dessin, celui qu'on griffonne et qui fait juste du bien, au-delà de toutes les raisons qui motivent les gestes qui suivent. Evelyn Reyes ne supporte pas qu'on achète ses oeuvres, de les voir disparaitre.
Les gens chocolats, fraises et vanilles de Antonio Benjamin. Parce que son travail, dit-il, «is about a group of people. Chocolate, Strawberry and Vanilla people, they all think different.»
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Ah oui, il y avait ça accroché au mur. Une question: «What do you love». Et tout un tas de réponses. Dont «Annie Hall», «clean teeth» et «kissing».