Travailler comme cabin crew, c'est être exposé aux regards de tous les passagers...
Lorsque vous prendrez l'avion, imaginez-vous à notre place, et spécialement à la place de celui qui fait les démonstrations de sécurité. Tous ces yeux sur vous, ces airs amusés voire moqueurs ou ces faces concentrées et contractées comme s'ils étaient en train de chier... C'est un peu comme jouer devant un public qui n'est jamais conquis et toujours renouvelé.
Je ne vous dis pas le nombre de fois où on nous reconnaît à bord ou ailleurs. Pas étonnant qu'ils se rappellent de nous, vu que pendant ces longues heures de vol, ils n'ont rien d'autre à faire que mater nos moindres gestes ou nous saouler de leurs multiples exigences. Parfois, c'est agréable mais à d'autres moments, vous préféreriez qu'ils vous oublient! Je crois que je serais millionnaire si on m'avait donné 1€ à chaque fois qu'on m'avait dit pendant l'embarquement : "Vous étiez sur notre vol l'année passée!" Ou encore, avec beaucoup de classe : "Oh chou, c le mainnnme qu'à l'aller!" Ce qui me donne envie de leur répondre que je n'avais pas troqué mon boulot lors de l'escale, même si mes aptitudes à dire bonjour et à servir n'importe qui pouvaient être des atouts pour une reconversion dans la prostitution ou dans la vente de breloques sur les plages.
Mais ça n'arrive pas que dans l'avion. Un jour, je faisais mes courses chez Adil, afin de ménager mon maigre budget de cabin crew. J'allais passer à la caisse. Voilà que le caissier me dit : "Je...je vous connais!
- Ah bon? Moi pas; vous ne me dites rien.
- Vous travaillez pas dans l'avion, a-t-il demandé, imperturbable, comme si nous prenions l'avion tous les jours ensemble.
- Oui, ai-je répondu machinalement.
- Je vous ai eu à bord quand je partais en Espagne, a-t-il enchaîné."
J'espérais ne pas avoir à subir le récit détaillé de ses vacances avec sa grognasse sur la Costa Brava.
J'ai répondu : "Ah... voilà. Désolé si je ne me souviens pas de vous mais moi, je vois des centaines de gens par vol je ne reconnais pas tout le monde. Je vous dois combien? Bonne journée!"
Une autre fois c'était dans un centre commercial à Lille, alors que j'achetais un cadeau pour l'anniversaire d'une collègue dans une boutique de décoration d'intérieur. Je flânais d'un rayon à l'autre quand la caissière m'a demandé si je n'étais pas personnel de cabine. J'avais envie de lui répondre :"Oui, et pour cette bonne réponse, vous avez gagné un aller simple pour Manchester avec Ryanair. Au programme : bed and breakfast miteux, bière plate et football." mais je lui ai juste lancé un oui. Elle a continué, sans attendre ma réponse en fait : "Je le savais! Je vous ai reconnu. Vous avez été très sympa avec ma nièce qui voyageait avec moi vers Sharm El Sheik. Elle ne voulait pas manger de viande et vous lui avez offert des pains en plus et du fromage." Oui, effectivement, je me rappelais d'eux car une semaine après, je partais aussi en vacances à Sharm El Sheik et, par le plus grand des hasards, j'étais avec eux en tant que passager sur le vol retour. Elles m'avaient déjà reconnu dans le bus qui nous transférait de l'hôtel à l'aéroport. Elles n'avaient pas pu s'empêcher de glousser et de beugler : "Hé! C'est le steward de l'aller!" Tout le bus s'était retourné! Je ne vous dis pas ma gêne!
Toujours dans ce même centre commercial, mais un autre jour, je me baladais quand l'agent de sécurité, en grande discussion avec une jolie femme, m'a fixé bizarrement. Je me suis dit : "Qu'est-ce qu' il a, celui là? Pourquoi il me regarde comme ça? Il me prend pour une racaille?" Puis, il a fait demi-tour et m'a dit : "Vous n'étiez pas hier soir sur le vol Égypte?" Ca se voyait tant que ça que j'étais encore déchiré de ce fameux vol de nuit? Il a ajouté : "J'étais à bord, je vous avais demandé une couverture." Je pensais : "Merde! C'est pas le bureau des plaintes ici!" Sur ces vol de nuits il n'y a jamais assez de couvertures. A tous les coups, il allait me mettre sur le dos le rhume de sa pétasse. J'ai dit : "Ah oui, je vous reconnais très bien!" Je me souvenais surtout que la femme qui l'accompagnait sur le vol n'était pas celle qui le tenait là par le bras comme une désespérée. C'était sûrement sa maîtresse... Avec un soupçon de langue de pute, j'avais envie de lui dire : "Par contre, mademoiselle, elle, n'était pas à bord!!!"
Une autre fois, je faisais les boutiques en ville quand j'ai aperçu deux passagers que j'avais eus à bord. J'ai fait semblant de ne pas les avoir vus quand ils ont rapidement fait marche arrière et m'ont crié : "Hé salut! Comment vas-tu?" et déjà, ils m'embrassaient. C'était assez marrant, ils me connaissaient mais ils ne savaient plus d'où. Je leur ai remémoré que c'était sur le vol Zanzibar. L'équipe était restée une semaine sur place à cette destination, et donc la moitié des paxs ont fait l'aller-retour en même temps que nous. Je ne vous dis pas comme ils étaient envieux quand ils ont capté qu'on venait de passer une semaine all-in-tous frais payés, tout comme eux, mais en étant rémunéré pour ça! Nous avions échangé quelques mots sur mon métier, c'est pour ça que je les avais reconnus. Ils m'ont proposé de passer un jour dans le café où ils bossaient pour boire un verre. Cette fois-là, c'était assez sympathique. Mais la situation la plus étonnante, c'était sur le vol retour de Malaga, un été. Deux amis de la cinquantaine, dont un était accompagné de son fils, ont déboulé dans le galley arrière comme des sangliers et m'ont lancé agressivement : "On reçoit à manger ici?- Oui monsieur, après le décollage, on passera en cabine. - Et ça sera kasher? car chez El Al, c'est kasher (pour ceux qui ne connaissent pas, c'est la compagnie aérienne israélienne nationale)! - C'est une compagnie charter belge, monsieur. Les repas ne sont pas kasher. Si vous vouliez un repas kasher, il fallait le réserver en avance, moyennant un supplément de 25€ par vol.- Non non, c'est bon, on fera avec, a-t-il conclu d'un air frustré." Quand il s'agit de payer, on se dégonfle, hein? Rapiat va! Et ça, c était que le début... Son ami me disait quelque chose. Lorsque j'ai entendu : "Hé David, on reçoit un repas! Cool, hein!" tout s'est éclairé : mince, c'était le gars avec qui j'avais fait un constat car j'avais éraflé sa voiture. Elle n'avait vraiment rien du tout, juste quelques griffes. Il voulait le faire à l'amiable et m'avait demandé 500€. Je lui avais répondu : "You wish! On fait un constat!" J'avais les nerfs ce jour-là. Bref, nous sommes partis de Malaga et pendant le service, alors que je distribuais les repas, ma collègue s'est tournée vers moi et m'a demandé si elle avait encore son nez! Amusé et étonné, je lui ai dit : "Quoi?! Qu'est-ce que tu racontes?" Elle répète, plus fort pour que toute la cabine l'entende : "J ai encore mon nez? - Ben oui! - T'es sûr? car tu vois ces passagers, a-t-elle lâché en me montrant "David" et son pote, me l'ont bouffé. COCA!! COCA!!, a-t-elle hurlé devant eux, c'est comme ça qu'ils me demandent ce qu'ils veulent boire!" Elle leur a foutu une de ces hontes! Je jouissais ! Moi, je continuais à distribuer les plateaux, en réprimant un fou rire. Les paxs se demandaient ce que j'avais. Il faut dire qu'elle a du répondant, cette collègue aussi grande que large. D'ailleurs, elle continuait à me faire rire; elle m'a lâché : "Mes fesses me brûlent! - Hein? Qu'est-ce que tu racontes? "Elle a ajouté bien haut, pour que toute la cabine en profite : "Tu vois les deux connards arrogants qui m'ont bouffé le nez? Quand je leur ai demandé ce qu'ils voulaient boire et que je me suis penchée pour les servir, ils m'ont brûlé le cul avec leurs yeux. Je les ai entendu critiquer mon derrière." Une vraie tarée, cette collègue : elle n'a pas froid au yeux! Voilà quelques récits de retrouvailles avec mes charmants ou odieux passagers.