Nous étions 6 sur ce vol, dont deux "observateurs". L'embarquement commençait et je me retrouvais au milieu de la cabine à accueillir les passagers, envahi par un mélange d'excitation et de trac. La chef de cabine de réserve est arrivée à l'avion, au moment où je faisais le check-cabine. J'avais constaté qu'il y avait deux bébés placés sur la même rangée, ce qui est interdit, vu qu'il n'y a pas assez de masques à oxygène en cas de dépressurisation de la cabine. Motivé, je l'ai signalé à la chef qui m'a répondu qu'effectivement, il fallait les changer de place. L'avion a décollé. J'étais surpris par tout le bruit et les mouvements qu'il y avait dans le galley arrière. Les collègues plus expérimentés nous montraient comment préparer les trolleys. Puis ils m'ont dit : "Vas-y tu peux commencer le service. - Ah bon? Je ne suis pas là pour observer?- Non, non, si tu veux apprendre, tu dois te lancer, m'a fait la vieille hôtesse avec un air blasé."Par respect pour les kilomètres qu'elle avait au compteur, je n'ai pas discuté, j'ai géré le service seul. Ce matin-là, c'était un plateau petit déjeuner composé de petits pains, viennoiseries, yoghourt, fromage, confiture et beurre. Les passagers étaient ravis de se goinfrer et moi j'étais content car jusque là, tout se passait bien! Il était temps de débarrasser. La matriarche de l'air m'a demandé si, en reprenant les plateaux, je pouvais mettre de côté les confitures, beurres et yoghourts non consommés. J'ai remarqué qu'elle les emballait amoureusement dans des sacs à vomir. Elle m'a proposé d'en reprendre une partie; j'ai refusé timidement, tout en me demandant ce que j'allais foutre avec ça.Sur le vol retour, après un service identique au premier, elle m'a à nouveau demandé si je voulais des confitures. Et cette fois-là, je lui ai répondu que j'en voulais bien quelques unes. Pour toute réponse, elle m'a passé un sac à vomir.
Mon deuxième vol. Il y avait beaucoup de passagers en business, et donc un stock conséquent en champagne, vins et bières. La chef de cabine nous a proposé, à chacun, d'emporter une boisson alcoolisée pour la boire après le vol. J'ai accepté l'offre qui a rejoint, dans le sac à gerbe, le petit butin de confitures que j'avais amassé.
Sur mon vol suivant, la chef nous a encore proposé du vin ou des bières à emporter. Quant à ma collègue avec qui je bossais à l'arrière faisait tranquillement son stock pour son barbecue du weekend : elle a piqué des gobelets en plastique, des tasses, du ketchup, des sets composés de sel et poivre, des couteaux, des fourchettes, des paquets entiers de serviettes en papiers ainsi que les bouteilles de coca entamées. Je l'ai regardée avec des yeux ébahis, je me disais elle est folle celle-là et je lui ai lâché : "Tu te crois chez Colruyt?!" Elle m'a lancé un regard et m'a dit : "Va-s-y, sers-toi! Fait ton shopping, prends un coca ou ce que tu veux!"
Au fil des vols, j'ai remarqué que tout le monde chapardait des trucs à bord, et à chaque fois! Ca allait de choses simples comme des confitures ou du coca, de l'alcool ou des verres, à des choses absurdes comme du papier cul! Quand j'ai vu ça la première fois, j'ai dit : "Tu déconne là! Pas du PQ!" et elle m'a lancé d'un air gêné : "Mais j'en ai plu à la maison!
- C'est ça oui, tu fais un stock!" On a commencé à rire comme des dingues. Moi, je lui ai avoué que j'allais piquer une couverture et des coussins pour le bac du chien de ma mère... Elle m'a répondu : "Ah oui, bonne idée! File-moi-s-en une pour mon chat!"
Je me rendais compte qu'on était tous devenus cleptomanes : on piquait des trucs insensée dont on n'avait même pas besoin. On avait même atteint le stade ultime de cette maladie mentale : non seulement on chapardait à bord mais aussi en escale! Dans les hôtels de luxe où on logeait, les articles classiques qu'on prenait, c’était les mini shampoings, gel douche, savons, limes à ongles, cotons-tiges, kit de couture, éponge pour cirer les pompes,... Comme on séjournait en all in, même le mini bar de la chambre était dévalisé!
On avait de grandes bouteilles d'alcool : rhum, whisky et vodka de grandes marques fixées au mur de la chambre, gracieusement mises à notre disposition et refiled tous les deux jours.
Dès l'entrée dans la chambre, on siphonnait les bouteilles. On ne laissait rien et le lendemain, quand Conchetta avait à nouveau rempli toutes les bouteilles en se disant certainement que nous étions tous des pochards, nous les vidions encore pour alimenter le stock d'apéros de la maison.
Il y en avait une qui faisait la collection des serviettes d'hôtels. Elle se servait à chaque escale de tous types et tailles de serviettes : de bain, de plage, pour les mains, des gants de toilettes et même, quand il y en avait, il des sorties de bain avec le nom de l'hôtel brodé dessus. Elle avait un stock au point de pouvoir ouvrir un hôtel, me disait-elle.
Il y avait ce steward qui piquait les tasses et verres mis à disposition dans la chambre. Je lui ai demandé si on l'avait jamais capté, si on les lui réclamait. Il disait qu'il les avait cassées et balancées à la poubelle. " Ma femme est contente de toutes cette faïences que je lui ramène." Il les lui offrait! N'importe quoi!
L'article le plus débile que j'ai piqué, c’était des cintres. Ils était harmonieux, élancés, luisants, fabriqués en bois subtil et parfois le nom de l'hôtel y était gravé. De vrais bijoux! C'était tellement chic et élégant que je ne pouvais pas les laisser là! Quand ma collègue m'a vu mettre ça dans ma valise, elle m'a dit en éclatant de rire : "J'ai vu les collègues piquer toute sorte de choses mais des cintres!!" Puis elle a ajouté ironiquement : "C'est n'importe quoi! C'est le top 50 des cleptos!" On était écroulés de rire. Elle m'a raconter qu'un jour, une chef de cabine, une coach en plus, s’était foutu la honte à la réception de l'hôtel au moment du pick-up pour le vol retour. On lui avait réclamé le sèche cheveux qu'on lui avait prêté. Morte de honte, elle l'a sorti de sa valise... elle l'avait soigneusement emballé! Elle l'a déballé et rendu avec gène, s'est tournée vers son équipage stupéfait qui observait cette scène délirante et leur a dit avec mauvaise foi : "Je comptais le rendre, j'ai juste oublié, c'est tout!" C'était en tout cas une bonne occasion pour la mettre mal à l'aise et se venger de tous les sales coups qu'elle avait l'art d'infliger à tous les crews. C'était du caviar de la regarder avec mépris comme une voleuse, une pilleuse, une clocharde qui n'avait même pas un sèche cheveux chez elle, avec un sourire sarcastique. Comme tout le monde la détestait, cette bitch, ils ne se sont pas gênés de rapporter et d'amplifier cet acte à tous les autres crews de la compagnies. Tous le monde s'était bien foutu de sa gueule, surtout celui qui lui avait lâché sec dans sa gueule : "La prochaine fois, pique ce que tu veux mais pas un sèche cheveux quand même!"
Les dosettes de ketchup et de moutarde qui, empilées par dizaines dans mon armoire de cuisine, me sautent au visage à chaque fois que je l'ouvre, les yaourts qui monopolisent mon frigo, les serviettes de table dans lesquelles je me mouche, ... tout me rappelle que je suis dans un stade avancé de cleptomanie!!
PS: Certains pourraient voir dans ce récit un portrait avilissant du personnel de cabine, en ressentir un arrière-goût de malhonnêteté. Mais ce n'est qu'une caricature humoristique! Dans notre beau métier, les 3 pots de confiture ou les sachets de moutarde ne sont que des petits plus en nature qui finiraient de toute manière au bac. Que celui qui n'a jamais rapporté quoi que ce soit de son travail me jette la première pierre! L'infirmière qui ramène des médicaments, le boulanger qui se mange un croissant, le professeur qui fait quelques photocopies,... He bien les cabin crew ne sont pas plus catholiques que le pape!