« Dernier appel pour le vol à destination de Montréal. Mme Pazzo et Mme Melbir sont priées de se présenter immédiatement à la porte d’embarquement B30. Merci. »
Mais avance! Tu aurais pu enlever ta ceinture bien avant le contrôle! Et en plus tu transportes des bouteilles d'eau! Il faudrait vraiment empêcher certains de prendre l'avion!
Avec tous ces imprévus, j’allais presque rater ce vol. Je crois que je suis restée trop longtemps dans les toilettes. J’avais pourtant répété toutes les étapes dans ma tête une vingtaine de fois. C'était si simple! Mais cette CINGLEE, il fallait toujours qu’elle me contrarie. J'ai QUAND MEME pu la ramener au silence! Elle sait bien que je SAIS quand j’ai raison et je ne SUPPORTE pas qu'on parle en même temps que moi.
J’ai aperçu l’agent d’embarquement. Tout seul, comme un désespéré, il me cherchait du regard. Je lui ai décoché mon plus beau sourire, celui qui en avait fait basculer plus d’un. Cet espèce de nigaud ne m’a même pas calculée. Je suis sûr qu'il doit être gay.
« Bonjour, je suis Mme Pazzo, excusez mon retard mais je …
- Oui, oui, il était temps : vous êtes à la bourre ! Et en plus, la personne qui devait vous accompagner n’est même pas là ! Où est-elle ?
- Mais ... vous allez me parler sur un autre ton ? ! Vous ne savez pas qui je suis?! Si je suis en retard, ce n'est pas...
- Allez, allez, c'est bon, embarquez ! Et tant pis pour votre amie.
- Je suis seule de toute façon. Elle a annulé à la dernière minute. »
Mais il se prend pour qui, ce jeune crétin ? Toi, tu vas être appelé au bureau, demain! Si tu avais été sous mon commandement, tu aurais dégusté!
Et puis, avec quoi il vient?! Il ignore que j'ai de très bonnes raisons d'être en retard... En plus, être en retard, j’ai toujours détesté ça! J'ai failli en écraser, des gens qui étaient sur ma route vers l'aéroport! J’aime tellement quand tout est bien tracé, prévisible, sans aucun obstacle. Tout le monde allait encore me regarder, j’allais peut-être devoir mettre mon bagage à main dans un compartiment éloigné de mon siège. Je déteste me séparer de mes objets de valeur.
« Bonjour ! Vous êtes enfin là ! Vous êtes la dernière vous savez !
- Oui merci, je suis au courant! Voici !
- Vous avez le siège 16C, bon voyage.
- Dites-moi, ce ne serait pas Francesca Dela Rosa là-bas ?
- Si,si, vous vous connaissez ?
- Oui !! Nous avons fait beaucoup de vols ensemble !
- Ah, vous êtes du métier, vous volez pour quelle compagnie ?
- Oh, là, j’ai fait une petite pause carrière…
- En tout cas, bienvenue sur ce vol !
- Merci. »
Francesca… quel coïncidence ! Heureusement que je voyage seule finalement ! Je ne sais pas ce que je lui aurais raconté pour sauver les apparences… Francesca… Quelles escales nous avons eues, elle et moi à l’époque ! On les a collectionnés, les cockpits… Sex, drugs and alcohol !
« Angela ? Angela Pazzo??
- Oui, Francesca, ça fait plaisir de te revoir ! On se fait la bise ??
- Ca fait tellement longtemps ! Alors tu es toujours chez Riena’air ?
- Non, je les ai quittés, j’avais envie d’autre chose… Le low cost, tu sais bien... J’en avais marre des passagers qui faisaient CHIER avec leurs petits CAPRICES, leur CAFE en plein service, leur thé à l’atterrissage, leur GROSSIERETE,…
- Tu sais, c’est comme ça partout. En tout cas c’est merveilleux de te revoir. Je vais voir avec la chef de cabine si je peux te faire un upgrade… Ecoute, je vais te laisser t’installer, on causera un peu plus tard !
- Te tracasse pas, on aura tout le temps de discuter ! »
La chef de cabine nous regardait, étonnée. Elle me sondait avec un air bizarre, comme si elle lisait dans ma tête. Est-ce qu’elle savait pour moi ?
« Cabin crew arm slides and report. »
Je me faisais des idées, elle ne fait même plus attention à moi... Voyons plutôt avec qui je suis assise... 16C. Voilà, je le savais ! Ce foutu sac prend toute la place dans MON compartiment. Ils ne limitent pas les bagages à main dans cette compagnie de MERDE ??? Tiens, ça va quand même rentrer… Moi, je BOURRE. Pourquoi elle me regarde, celle-là, je vais pas lui écraser, son SAC !
« T’inquiète pas, ton SAC va bien. Ne me regarde pas comme ça ! » Connasse !
Ils ont encore réduit les places ou quoi ? On est comme des sardines, dans cette compagnie. Pourquoi elle me regarde encore celle là ?
« Angela, suis-moi, j’ai encore de la place en business, me dit Francesca, soudain devant moi comme une apparition. »
Là, tu peux bien me regarder,toi, parce que tu vas plus me voir. Je vais en business et je te laisse dans ta classe FAVELAS.
Mmh c’est pas mal ici. Peut-être serai-je assise à côté d’un bellâtre richissime. J’aurai tout le vol pour l’appâter… Les hommes sont tellement faibles dès qu’on leur montre qu’on est accessible.
Pfhh,tu parles, Charles. Encore une de ces pouffiasses, serrée dans du Versace. Et pour courroner le tout, elle a sorti sa collection de Vuiton, le compartiment en est infesté. Tant pis, le sac, je le garde près de moi. En lieu "sûr", comme on dit.
Le décollage me donne toujours la même impression de liberté. Tous ces problèmes qui restent au sol... Je l’aurais bien fait dans le cockpit, on sent encore mieux cette sensation… Tiens, je vais demander à Francesca si elle peut m’arranger une petite visite… Mais, c’est quoi cette business ? Il fait sec ici, qu’est-ce qu’elles attendent pour me servir ?!
Ah, quand même ! C’est quoi cette chose qui dégouline en sourires forcés. Bientôt, ils vont engager des travestis ici !
« Madame ? Vous voulez boire quelque chose ?
- Oui, mademoiselle, euh MONSIEUR je voulais dire, un vin rouge. Et n’oubliez pas les cacahuètes !»
Quelle ambiance d’enterrement, je vais aller voir ce que fait Francesca…
« Ah, je voulais te demander, tu crois que c’est possible de faire une petite visite du cockpit ? Ca fait tellement longtemps… En même temps, je me présenterai et…
- Ah oui, je vais t’arranger ça, le commandant est sympa.
- Attends, je vais chercher mon sac, je ne voudrais pas LA laisser seule.
- Ah, ah, tu veux dire LE laisser seul!
- Quoi ?
- Ben ton sac.
- Non, enfin, j’arrive. »
Quel service de qualité, il a posé mon verre sur la tablette. A la moindre turbulence, il y en aura partout. Et justement …
« Ahhhh, mais faites attention ! Nom d’un chien, mon Versace !
- Oh, je suis vraiment DESOLEE, madame. Je vais vous chercher des lingettes pour arranger ça.»
Moisis dans ton tailleur souillé, pétasse ! Tiens, voilà ce qui arrive quand on prend les gens de haut, tu me snobbes depuis tout à l’heure avec tes grands airs. Les lingettes, ne crois pas que je te les apporterai. Tu es bonne pour aller te changer dans les toilettes comme une femme de chambre, maintenant…
« Bonsoir commandant ! Francesca, ex-hôtesse. C’est très aimable de m’accueillir.
- Installez-vous ! Alors vous avez travaillé avec Francesca ?
- Oh oui, on a fait les 400 coups en escale, si vous voyez ce que je veux dire… »
Pourquoi ricane-t-il ce sous-fifre ?
« Eh oui, commandant, c’est toujours bon une femme mûre, avec de l’expérience…, ajoute ce copilote à la noix »
Petit con. Tu me prends pour une cougard ?
« Je ne SORS pas avec les stagiaires, merci !
- Attendez, j’ai un appel radio… Oh, quelle histoire glauque… Une passagère qui devait se trouver sur notre vol a été retrouvée morte dans les toilettes de l’aéroport. On lui a coupé la tête et on l'a emportée comme un trophée…
- Ah, et pourquoi vous me parlez de CA à moi?
- C’est quand même pas tous les jours qu’on assassine une touriste dans un aéroport…
- Oui, enfin, elle l'a SUREMENT cherché, non ?
- Apparemment elle était chargée du transfert d’une maniaco-dépressive vers un autre hôpital psychiatrique.
- Oui, c’est vraiment pas drôle. Parlons plutôt d’autre chose…
- Désolé mais moi, je vais aux toilettes, dit ce copilote raté »
Oui, c’est ça, laisse-nous, IMbécile.
« Alors, commandant, vous ne vous sentez jamais SEUL en escale ??
- On s’arrange pour s’amuser quand même, une soirée ou deux bien arrosées et le temps passe vite.
- Oui, je vois très bien comment ça se passe…"
Oh que j'aime caresser tes cheveux, ils sont si doux. Ca me rappelle nos meilleures années...
" Mais… Qu’est-ce que vous faites ?? Vous êtes folle ?
- Je ne suis pas folle !
- Alors laissez vos mains chez vous, vieille folle !
- Je ne suis pas FOLLE !
- Mais qu'est-ce qui vous prend ??
- JE NE SUIS PAS FOLLE !!! »
Angela Pazzo avait frénétiquement sorti de son bagage à main la tête tranchée de Claudia Melbir et s’en était servie pour frapper le commandant à plusieurs reprises… Lorsque le copilote est entré dans le cockpit, il a trouvé son collègue sans connaissance, une blessure sanglante au crâne. Angela Pazzo, prostrée sur son siège, caressait doucement les cheveux d'une tête humaine en lui disant : « C’est fini, ma chérie. Tu vois, je te l’avais dit, ils sont tous les mêmes, tous les mêmes … »
Dans le journal du lendemain, on pouvait lire :
Angela Pazzo,à l'époque Riena'air
Un infirmière a eu la tête tranchée par la malade dont elle avait la garde, vendredi matin, à l'aéroport.Une employée chargée de l'entretien des toilettes de l'aéroport a fait une macabre découverte, alors qu'elle prenait son service. Dans un des compartiments, le corps sans tête d'une femme d'une quarantaine d'année était étendu sur le carrelage. La victime, Claudia Melbir, était chargée du transfert d'une patiente vers un autre hôpital.La patiente, Angela Pazzo, a été interpelée dans l'avion qu'elle avait pris par le copilote qui a pu la maîtriser. Elle venait juste d'assommer le pilote.
Les premières enquêtes ont permis d'en savoir davantage sur le passé de la meurtrière. Chef de cabine chez Riena'air, elle avait été relevée de ses fonctions et internée en hôpital psychiatrique, après avoir agressé violemment une passagère. Diagnostiquée psychopathe, elle devait rester sous haute surveillance permanente. Suite à une modification administrative, il avait été décidé qu'elle devait être transférée dans un autre hôpital.
Une instruction a été ouverte, notamment pour éclaircir les circonstances de son évasion et le manque de vigilance des agents de contrôle de l'aéroport.