L’adieu d’un pépin serein

Publié le 07 février 2013 par Dodo44

Mes amis, merci de m’entourer ce soir. J’accepte volontiers cet espace qui m’est confié pour vous faire mes adieux. Dans quelques minutes, je ne serai plus de ce monde. Permettez-moi de vous partager le fruit de mes réflexions.

Je suis né d’un cœur de pomme nonchalamment jeté dans un pré verdoyant. Le poids d’un pas bien ferme me planta là, tout au creux de la terre. Je n’ai rien contre la nature, croyez-moi, mais j’avoue qu’il y faisait bien sombre. Et je m’y sentais très à l’étroit avec mes idées noires.

Ignorant tout de l’avenir qui m’était réservé, je tentais de comprendre ce sort qu’on m’avait jeté. Ma vie avait-elle un but? Voire une issue? Je me sentais étranger dans ce lieu contigu. Si petit que j’étais et si confus.

Le temps a le mérite de répondre aux questions les plus insolites. C’est ainsi que germa une solution à mon énigme existentielle. Elle prit la forme de racines. D’abord minuscules, elles se mirent à grandir, enracinant au fond de mon être une certitude qui me faisait jusque-là défaut.

Quelque chose de neuf ne cessait de pousser en moi. Et je me sortis enfin la tête de ce terreau que je prenais pour un tombeau. Quelle joie de découvrir l’air libre! J’avais des branches à lever au ciel! J’avais des feuilles à sécher au vent!

La valse des saisons me donna de la vigueur. Et, surprise, des fleurs! Avec, en prime, des pommes!

Soudain, le petit pépin abandonné était devenu un splendide pommier. Oui! Je venais de trouver un sens à ma vie. Produire des pommes et nourrir les hommes! J’attirais contemplatifs, croqueurs d’images, amoureux et enfants. On admirait mon arborescence. On appréciait mon ombrage. On cueillait ma plénitude.

La cisaille des ans me creusa l’écorce et vida mes racines de leur force. Je sus que mon heure était venue. Durant une fougueuse tempête, une bourrasque me scia en deux. Puis, des campeurs eurent la délicatesse de me transformer en bûches.

Merci à vous tous, assis ici autour de moi, ce soir! Jamais je n’aurais cru, pépin né dans un trou, que j’accomplirais ma mission.

Il me suffisait simplement de vivre jusqu’au bout de mon essence. Avec l’amour comme sève de ma puissance.

Mes amis, adieu! Avant de m’éteindre, je vous offre dans ce feu toute ma joie!

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