Je m’appelle Sissi Bien que Reine Mbéa introduise plusieurs voix dans ce texte, Les aventures de Sissi sont avant tout le monologue intérieur de Sissi une jeune camerounaise qui habite quelque part à Yaoundé. Elle loue son petit studio à la lisière des quartiers huppés et de la cité populeuse. Elle pose d’entrée de jeux le dilemme auquel elle est confrontée. Ivy, sa meilleure amie lui a confié les atouts de son petit ami, quelque peu banal en apparence, mais qui s’avère être un très bon parti. Il est issu de la classe moyenne, il a dégoté un stage intéressant qui annonce une carrière d’avocat prometteuse sur la place de Yaoundé. Jalouse d’Ivy, Sissi va déployer tous ses atouts de courtisane pour mettre le grappin sur ce jeune homme qui pourrait s’avérer être la sécurité après laquelle elle court.
La faim justifie les moyens Sissi est un personnage sans scrupule. Elle a des atouts dont elle use et elle abuse pour atteindre ses objectifs : sortir de sa misère. Prendre le mec de son amie en est un, si cela peut lui apporter ce qu’elle cherche. Le charme, le corps, l’envoûtement mais avant tout la détermination feront le reste. Quand on veut tuer son chien, on fait courir la rumeur qu’il a la rage. Le monologue de Sissi se construit autour de cette maxime et il a avant tout une motivation, justifier sa posture, tuer l’image idyllique de l’amie qui a tout, la condition sociale aisée comme les hommes qui se plient à ses pieds à cause de teint de miel. Ivy est la grâce née qui a tout naturellement. Sissi doit par contre arracher ce qu’elle veut posséder. D’ailleurs, le roman pèche sur ce point. Rien ne rend crédible l’éventualité d’une telle amitié tant les mondes des deux protagonistes semblent éloignés.
A la puissance du bassin On pourrait reprocher à Reine Mbéa de faire l’apologie de la vénalité, voir de la prostitution. La construction du discours de Sissi tend à justifier sa posture. La généralisation de la légèreté des jeunes femmes des villes camerounaises s’inscrit un peu dans cette description pour laquelle certaines féministes en perdraient leurs crinières. Mais sans vraiment contrebalancer le personnage de Sissi, elle souligne la fainéantise de la belle des quartiers qui est entretenue par moult hommes et qui a choisi la puissance de son bassin comme un ascenseur social. La lecture de ce roman m’ancre dans une réalité qui n’est pas que camerounaise. Ozali na banda crie les jeunes congolaises face à une femme présomptueuse qui pense que son mari lui est une propriété exclusive. Tu as une rivale ! Dans des pays, où le système éducatif ne constitue plus un moyen d’élévation dans la société, les jeunes femmes de petite condition en sont réduites à cette prostitution larvée et elles sont prêtes à tout. Absolument tout.
L’écriture au service de la méthode Coué La question morale est naturellement introduite par Sissi qui ressent le besoin de justifier ses choix. Reine Mbéa pèche sur ce point par un ressassement de la pensée de son héroïne. Enfin, cela a été ma première réaction. Mais en terminant l’ouvrage, cette démarche ne dessert pas forcément le propos. Confrontée à des choix qui ne manqueront pas de choquer le puritain comme le libertin, Sissi veut convaincre l’auditeur. Pourtant, on se tient à distance du personnage. Le seul moment, qui est vraiment fort où, je crois, est cette scène magnifique par laquelle Sissi révèle l’acte fondateur de sa condition, indépendamment des tentatives de justifications en lien avec son histoire familiale. Il y a beaucoup à dire sur ce roman qui raconte les rapports complexes entre hommes et femmes dans ce coin du monde. On regrettera le refus d’explorer la posture de l’homme convoité. Le subterfuge du sortilège déresponsabilise voir dédouane totalement notre homme partagé entre deux femmes. C’est un choix.
Reine Mbéa propose un texte sur un sujet intéressant, actuel sur un pan de la jeunesse africaine et en particulier d’une prédatrice des temps modernes. Chapeau !
Bonne lecture,Reine Mbéa, Les aventures de Sissi : Chroniques d’uneserial loveuse Editions Edilivre, 1ère parution en 2012