Matej Minac : « J’ai rencontré un Juste à l’humour british »

Par Mickabenda @judaicine

Rencontre avec le réalisateur du film  La famille de Nicky, le  slovaque Matej Minac

Quand et dans quelles circonstances avez-vous découvert l’histoire extraordinaire du sauvetage des « enfants » de Nicholas Winton ?
En 1998, quand j’étais en train de filmer All My Loved Ones, basé sur l’histoire de l’enfance de ma grand-mère avant la guerre, je suis tombé par hasard sur le livre Pearls of Childhood de Vera Gissing. Elle se souvient de son voyage inattendu vers l’Angleterre à l’âge de 11 ans, organisé par un Britannique, appelé Nicholas Winton, qui lui a sauvé la vie. Ses parents sont morts dans les champs de concentration. En Angleterre, elle a été adoptée par une famille anglaise et a étudiée à l’école tchécoslovaque au Pays de Galles. J’ai commencé à avoir des frissons sur le corps et j’ai tout de suite souhaité inclure ce thème dans mon film.

Comment avez-vous rencontré Sir Nicholas Winton pour la première fois?
A l’époque Nicholas Winton était totalement inconnu. Par hasard j’ai obtenu le numéro de téléphone et l’adresse de M. Winton et en février 1998 je l’ai rencontré pour la première fois dans sa maison à Maidenhead, pas loin de Londres. J’étais nerveux. Je n’avais jamais vu un vrai héros de mes propres yeux.
Quand la porte s’est ouverte, j’ai été accueilli par un homme assez ordinaire, qui ne donnait pas l’impression d’avoir passé l’âge de 90 ans. On a longtemps parlé. Il était vraiment sympathique, il avait exactement ce qu’on appelle l’humour british. Déjà avec cette première rencontre, il était clair que il ne s’agissait pas seulement d’un film. Je devais en faire un documentaire…
Quand j’en ai parlé avec mon ami, éditeur et producteur Patrik Pass , il était très étonné. Nicholas Winton a sauvé également le réalisateur britannique Karel Reisz, metteur en scène de La maîtresse du lieutenant français avec Meryl Streep and Jeremy Irons. Patrik avait du mal à me croire, car c’est lui l’auteur du livre sur le montage des films, et c’est grâce à son livre que Patrik a décidé de devenir producteur et monteur. Je lui ai montré l’émission canadienne de la BBC sur la première rencontre de Winton avec quelques enfants sauvés, tournée en 1988. Ça l’avait vraiment touché, et ça m’avait fait très plaisir parce que j’avais trouvé le meilleur partenaire pour mes projets.

Donc en 2002 avec Patrik Pašš, vous faites le documentaire pour la télévision « Nicholas Winton – the Power of Good » qui a gagné un « Emmy Award », le Christopher Award et bien d’autres prix prestigieux dans des festivals. Mais avant tout, le film a suscité l’intérêt du jeune public. Est-ce que vous vous attendiez une réaction si forte et positive ? Et quelle en est la raison selon vous ?
D’abord ce n’était pas notre intention de faire un film pour le jeune public. A l’époque on avait seulement un but, celui de raconter cette histoire quand M. Winton était encore vivant pour le faire et peut-être réussir à gagner la reconnaissance du monde pour son action. On s’est dit que ce n’était pas juste qu’un acte si unique et important soit oublié, car très peu de personnes était au courant de cette histoire. Il n’y avait même pas une mention de Nicholas Winton sur le net.

Mais ce qui s’est passé après la sortie de All My Loved Ones et de the Power of Good a été incroyable. Le Premier Ministre de l’époque, Tony Blair, a vu le film et il a proposé à la Reine Elisabeth II d’inclure M. Winton sur la liste des personnalités à faire « Chevalier ».

Et M. Winton a commencé à recevoir tout de suite les honneurs et les distinctions partout dans le monde. Il est devenu une célébrité et a commencé à être accueilli par les chefs d’état, présidents et ministres.
Mais on a aussi eu de la chance. On a reçu le prix accordé aux meilleures productions pour la télévision aux Etats-Unis, le Emmy Award pour meilleur documentaire étranger. Tout ça n’était rien par rapport à la réaction des enfants et en général du jeune public.
Le film a été vu par des millions d’enfants, en Asie comme en Amérique, dans des endroits où ils n’ont jamais entendu parler de Hitler ou de la Seconde Guerre Mondiale, et ils étaient quand même profondément touchés. En réponse au film The Power of Good plusieurs programmes d’éducation ont été lancés.

Le film et le livre The Lottery of Life sur Winton et « ses » enfants ont été distribués à plus de 10 000 écoles britanniques, et de même aux Etats-Unis, en Allemagne, en France, au Canada, en Nouvelle Zélande et en Slovaquie. Un autre programme éducationnel vient de démarrer au Danemark. La chose incroyable est que ce projet est en train d’être diffusé dans une autre dizaine de pays, comme en République Dominicaine.

C’était donc ça l’impulsion qui vous a poussé à faire le film « La Famille de Nicky » ? Pourquoi avez-vous décidé d’utiliser la forme du documentaire avec des reconstructions cinématographiques ?
Personnellement j’ai toujours voulu faire des comédies comme Woody Allen, et l’histoire de Winton a été une exception à mon ambition principale, c’est-à-dire faire des comédies amusantes et intelligentes. Mais une série d’événements à changer mes plans. Des histoires nouvelles et incroyables ont été mises en lumière : des dizaines d’enfants de Winton ont récemment été retrouvés, et les jeunes, influencés par cette histoire, ont commencé à propager cette vague de solidarité. Winton lui-même, qui à l’époque avait 100 ans, peut témoigner de cette réaction. C’est comme ça qu’on a plongé dans la réalisation de ce documentaire avec des parties de fiction pour les cinémas.

Le film “La Famille de Nicky” met en lumière les histoires des enfants de Winton. Comment avez-vous réussi à les rassembler ?
La découverte est toujours une aventure. Mais ici, on ne s’occupe pas d’un héros disparu depuis longtemps, au contraire bien vivant, ce qui rend tout ça beaucoup plus excitant. Quand un enfant sauvé est retrouvé, on essaie de lui faire rencontrer M. Winton. Du fait que la plupart des enfants ont perdu leurs parents pendant la guerre, M. Winton, avec ses 102 ans, est devenu pour eux un père honoraire, et pour leur fils et petits-fils, un sorte de grand- père. Même si tout ça parfois dérange M. Winton.

Des parties du film ont été filmées à l’occasion du voyage du “Train de Winton”, qui sortait de la gare Wilson de Prague, le 1er Septembre 2009, et qui transportait vers Londres plusieurs enfants sauvés, où Winton en personne les a accueillis. A-t-il été compliqué d’organiser un événement comme celui-ci ?
On a seulement co-organisé le Train de Winton, le mérite va plutôt à M. Zbynek Honys, des Chemins de Fer Tchèques. Après avoir vu mon premier documentaire The Power of Good, il a été si enthousiaste qu’il a commencé à préparer ce voyage commémoratif avec d’autres collègues. Il s’agissait symboliquement de la date exacte du départ du dernier train de Winton 70 ans avant, avec 250 enfants à bord.
Ce voyage à l’époque a été annulé à cause du début de la Seconde Guerre Mondiale. Le Train de Winton a été un hommage à tous les enfants qui, comme leurs parents, sont morts pendant cette guerre. L’arrivée du train à Londres fut magnifique – on aurait dit que la gare était assiégée par les fans de Michael Jackson ! Tous les médias, télévisions, des centaines des reporters ont couvert l’événement. Quand je pense qu’il y a quelques années encore, le nom de Winton était inconnu, ça me donne des frissons.

Combien de temps a-t-il fallu pour faire le film et a-t-il était compliqué à tourner? Est-ce que vous vous rappelez d’expériences plus ou moins heureuses ?
Quand j’étais petit, je voulais devenir archéologue. Comme Heinrich Schliemann, je voulais découvrir la ville de Troie. C’est bizarre que le cinéma d’une certaine façon ait satisfait mon ambition. Pour moi l’histoire de Winton a été comme ouvrir la tombe de Toutankhamon. Et il y a encore beaucoup de mystères, on connait seulement 250 enfants sauvés sur 669. Où sont les autres centaines d’enfants ? Je me rappelle le moment exact où j’ai eu des frissons. En septembre 2008 on était en train de travailler sur des reconstitutions cinématographiques du film, et l’une des scènes cruciales avait lieu à la gare Wilson de Prague en 1939, quand les enfants devaient monter dans le train pour quitter leurs parents, sans savoir que c’était pour toujours.

Selon la légende, une mère n’arrivait pas à quitter sa petite fille en larmes, et l’a reprise dans ses bras, en la serrant fort et pleurant. Au dernier moment avant le départ, elle l’a déposé dans le train, à travers la fenêtre, et lui a sauvé la vie.
Trois semaines avant le tournage de cette scène, J’étais à Washington DC, enregistrant l’histoire d’une « enfant de Winton », Alice Masters. Ella m’a expliqué ceci: « A la gare ma mère a sorti ma petite sœur hors du train à travers la fenêtre. Ma sœur pleurait fort et ma mère aussi. A ce moment-là, le contrôleur a sifflé et le train a commencé à avancer. Ma mère ne savait pas quoi faire. Elle a commencé à courir avec ma sœur dans les bras, elle était désespérée – garder l’enfant ou le remettre dans le train ? Et au dernier moment, elle m’a redonné ma sœur à travers la fenêtre ». J’ai eu des frissons. Donc il ne s’agissait pas d’une légende…. Cette histoire m’a rappelé le film Le choix de Sophie, avec Meryl Streep. D’un coup, j’ai tourné cette scène selon le témoignage d’Alice Masters. Je me rappelle d’une autre histoire qui m’a profondément ému. Les 25 premiers enfants sont partis pour la Suède, et nous les avons cherchés. Nous en avons seulement retrouvé un, Hanus Weber. J’étais ravi. Il a consenti à être interviewé, et il m’a raconté l’histoire de sa mère, Ilse Weber, une excellente écrivaine pour enfant.
Quand elle a été déportée dans le camp de concentration de Terezin en 1942 avec le petit frère de Hanus, elle travaillait comme infirmière. Il était clair qu’il n’y avait pas de médicaments pour soigner les enfants juifs là-bas, donc elle a trouvé un moyen pour soulager leurs souffrances, en composant de merveilleuses chansons pour eux. Quand ses enfants furent mis dans le train pour Auschwitz, elle eut tellement peur qu’elle pris le petit frère de Hanus et parti avec eux volontairement. Arrivés à Auschwitz ils ont été immédiatement envoyés à la chambre à gaz. Un ami de la famille, qui était dans la brigade chargée de déplacer les corps morts, a dot à Mme. Weber : « Ceci n’est pas une douche, mais une chambre à gaz. Mais, si je peux vous donner un conseil, c’est d’entrer avec les enfants, et de ne pas les effrayer. Asseyez-vous dans une angle et chantez. Car quand vous chantez, vous inhalez le gaz plus profondément et vous mourez plus vite avec moins de douleur.» Elle suivit le conseil et chanta avec les enfants la berceuse Wiegala. Après la guerre cette chanson fut retrouvée à Terezin dans des circonstances dramatiques. Hanus me montra la berceuse de sa mère, composée par Liv Migdal. Après ça, J’ai perdu le contrôle, je ne pouvais plus parler, j’étais en larmes. Cette musique adorable ainsi que le texte étaient vraiment un message revenu de l’enfer.

Vous avez tourné à peu près 450 heures, parmi vos tournages aux Etats-Unis, en Slovaquie, en République Tchèque, au Cambodge, au Canada, en Israël, au Danemark, en France, en Suède et en Hongrie. A-t-il été compliqué de monter le film ?
Le montage a vraiment été un travail difficile. C’est seulement grâce à une équipe d’excellents monteurs si je m’en suis sorti: il y en avait assez pour faire encore 7 films sur Nicholas Winton, ses enfants, et leurs expériences pendant le Communisme ! Quelques chiffres : on a tourné sans interruption pendant 6 ans, avec au final 4 000 heures de vidéos.

Quel aspect de la production préférez-vous personnellement : l’écriture, le choix des lieux de tournage, le casting ou le tournage en lui-même?
J’aime tout à la fois, car autrement je ne pourrais pas vivre la vie d’un cinéaste. J’aime la sensation d’être toujours sous pression, de penser que si on avait le temps, on pourrait faire encore mieux. La réalité est que nous, les cinéastes, travaillons sous la pression constante d’un fouet imaginaire : la date limite pour finir le film. Par ailleurs, on en est reconnaissant, car autrement le film peut être ne serait-il jamais terminé.

Comment le nombre d’heures de vidéos tournées a-t-il influencé le scénario?
L’idée d’origine, que j’ai eue en retournant à Londres avec Patrik Pašš après avoir connu M. Winton, n’a jamais changé. Dès le début, on voulait montrer comment des événements tragiques du passé, oubliés durant 50 ans, pouvaient devenir une histoire impressionnante de nos jours et aider les gens à écrire leur futur.

Quelle clé avez-vous utilisé en choisissant les acteurs pour les parties reconstituées du film?
J’ai fais le choix d’engager des personnes au visage inconnu, pour susciter l’empathie du spectateur. Pour l’histoire de la mère d’Alice Masters, qui ne savait pas si elle devait laisser la fille dans le train ou pas, j’ai décidé d’engager une actrice tchèque, Klara Issova.
Pour être sincère, je n’imaginais personne d’autre en République Tchèque capable de rendre justice à ce rôle avec une telle maestria.

La famille de Winton et leurs descendants, grandissent encore. Êtes-vous en contact avec certains d’entre eux ?
Je suis en contact avec à peu près 50 d’entre eux, et grâce au travail du film, je connais aujourd’hui presque tout de leur vie. On est heureux quand un nouvel « enfant » apparaît. Un de ces cas fut d’ailleurs très émouvant. Après la projection de mon film précédent à San Diego, je devais avoir un débat avec le public. Un homme a dit qu’il savait avoir été à Londres en train en 1939, à l’âge de 6 mois, mais il n’en savait pas plus, et il m’a demandé où il pouvait obtenir plus d’informations. Je lui ai répondu que l’on pouvait déjà trouver quelque chose de suite. J’ai ouvert la liste de Winton, et j’ai trouvé son nom, sa date de naissance, l’adresse de ses parents adoptifs et quelques informations supplémentaires. D’un coup, le visage de cet homme est devenu rouge, et il s’est enfuit comme un fou. On s’est revu le jour d’après pour déjeuner ; il s’est excusé de son comportement, mais le choc était si fort qu’il ne voulait pas pleurer devant tout le monde. On a appelé Nicholas Winton et cet homme a pu le remercier.

Quelle est la « mission » dont fait référence le film?
Je n’aime pas le mot “mission”, car ça sonne très pathétique. Les cinéastes pensent souvent plus au message du film qu’à l’histoire en elle-même, et j’ai remarqué que chaque bonne histoire amène son propre message automatiquement. Regardez l’histoire dans la Bible, par exemple, d’Adam et Eve et leur pêché. On peut l’interpréter d’un millier de façons différentes, mais l’histoire est magnifique et inspire les gens sans arrêt. De la même manière, l’histoire de Winton pour moi est incroyable, et on a la chance qu’il soit encore vivant pour nous la raconter et nous en inspirer.

Par rapport à la bonne action de M. Winton, vous avez parlé du “virus du bien” qui a affecté de nombreuses personnes. Qu’est-ce qui vous a le plus étonné ?
Vous savez, on ne peut pas mesurer le bien. Si une fille donne ses cheveux pour faire une perruque à une autre jeune fille affectée par un cancer, ou si des jeunes gens sauvent des centaines d’enfants du Tiers Monde d’une morte certaine, lequel est le mieux? Chaque bonne action a de la valeur, et nous donne du sens. Je voudrais mentionner un autre sujet très important. Quand on regarde le journal télévisé, on est abattu par les informations négatives. On entend partout que le monde est corrompu, et qu’il y a des gens méchants.

Je crois que ce n’est pas vraiment comme ça : la plupart des gens sont biens et ont la volonté de faire de bonnes actions.
La plupart des gens sont prêts à nous aider si on tombe dans la rue. Les personnes sont plutôt bonnes, que méchantes. Mais les jeunes entendent constamment de la part des médias qu’on est tous des voleurs, des sauvages, et c’est comme ça que les jeunes perdent leurs idéaux, ils sont dégoutés et ils ne croient plus en rien. Je pense donc qu’il est nécessaire de résister à cette tendance.
Pour ma part, je cherche seulement à faire des films dont je peux être fier, des films qui nous rendent plus forts, nous nourrissant d’espoir et de résolution.

FILMOGRAPHIE DU REALISATEUR MATEJ MINAC

Matej Minác est de nationalité slovaque, mais il habite à Prague, où il a fondé la W.I.P. sa société de production. Il est un des réalisateurs les plus connus en République Tchèque, grâce à ses documentaires acclamés qui touchent des thématiques sociales et qui se confrontent avec l’histoire de son pays. L’holocauste a été le grand sujet de ses œuvres cinématographiques.
All My Loved Ones (1999), est un film qui raconte l’histoire d’une famille tchèque Juive au début de l’occupation Allemande et de leur déchirante décision d’envoyer ou pas leur fils en Angleterre avec l’espoir de lui sauver la vie, en sachant de ne le revoir jamais plus.
Son documentaire Nicholas WintonThe Power of Good (2002) a eu la même inspiration, en racontant l’histoire extraordinaire de Nicholas Winton, le banquier britannique qui a sauvé presque 669 enfants tchécoslovaques, pour la plupart juifs.
Ce documentaire a gagné un des prix plus prestigieux de sa catégorie, le EMMY AWARD TELEVISION FOR BEST DOCUMENTARY aux Etats-Unis.
Après 6 ans de tournage, son dernier film sortira en Mars 2013 enfin sur les écrans français La Famille de Nicky – Le Schindler britannique, un documentaire qui mêle fiction et réalité : l’œuvre la plus complète du réalisateur sur l’histoire extraordinaire des 669 enfants sauvés par Sir Nicholas Winton.