Profanes

Par Mathylde

« Ils sont tous les quatre face à l’ouverture. Ils doivent avoir peur. Naturellement. Quelque chose en eux se remue et se prépare. Ils n’ont pas envie de fuir. Ils avaient déjà choisi sans le savoir. Ils avaient lu l’annonce. Maintenant quelque chose de l’annonce va avoir lieu et aucun d’eux ne sait quoi. La vie va ouvrir ses flancs comme un cargo qui se couche. Il va falloir faire route nouvelle, sans protection. La peur du désastre fait partie de l’aventure. On peut sauver ou ruiner toute une vie quand on prend le risque. »

Il est bien peu de livres qui ont la puissance de celui dont je vais vous parler aujourd’hui : Profanes, de Jeanne Benameur. A l’image de la très belle couverture, le récit semble tirer sa force de la fragilité des destinées des personnages dont on découvre le cheminement au fil des pages.

Tout a commencé par une petite annonce quelque peu insolite : Octave Lassalle, ancien chirurgien, cherchait quatre personnes d’horizons et d’âges différents pour s’occuper de lui à tour de rôle jusqu’à sa mort. Mais en réalité, il s’agit plus de trouver « comment rester vivant en frottant son âme à d’autres » et pour à nouveau connaître « la vie qui vibre et qui échappe à chaque pas« . A l’instar des quatre personnages gravitant autour de lui, Octave a connu un drame : la perte de sa fille à l’aube de sa vie de femme.

Ce roman est l’histoire de rencontres comme l’on en connaît peu : celles qui vous (re)donnent foi en l’humain, qui vous aident à vous comprendre et à vous accepter. Jeanne Benameur ne cesse, à travers le personnage d’Octave, de replacer l’Homme au centre de la vie. La vie et la mort se croisent, s’emmêlent parfois, le passé et le présent sont entrelacés toujours, et les questions douloureuses s’abattent souvent sur ces personnages un peu perdus. Le lecteur devient un profane,devant le livre, sorte de substitut du temple, face à la question du sacré.

« Est-ce que c’est cela, le sacré ? Est-ce que c’est cela le lieu où tout se rejoint ? Rejoindre le visage de l’autre, et à travers lui, de tous les autres ? « 

La question de la foi et de la religion est mise à mal car seul l’Homme paraît apte à délivrer de réelles réponses. « Je ne cherche à être sûr de rien mais je veux trouver la forme juste de mon doute. Simplement cela. Humblement. Je ne suis pas un grand philosophe. Je ne cherche rien pour les autres. Juste une façon de rester vivant. Ma façon. » Et si c’est bien l’Homme qui pourra atteindre la vérité, ou au moins se poser les bonnes questions, ce sera probablement par l’art, qui  permet d’atteindre « une épiphanie, la conscience d’une vérité« . Et si c’est le dessin qui le permet dans ce roman, nul doute que la littérature puisse y parvenir.

C’est donc un très beau livre, bouleversant à bien des égards, bien écrit (J’avoue quand même avoir eu du mal avec la ponctuation non conventionnelle dans les passage de discours indirect libre…mais c’est finalement peu de choses ! ) qui donne envie de découvrir les autres textes de l’auteur !

« Il n’y a pas de maître.

Pas de fils de Dieu.

Pas de prophète.

Rien que des hommes et des femmes.

Des profanes.

Mais le sacré, le vif de la vie, il est bien au coeur du profane et moi j’ai besoin d’y aller. (…)

Ce n’est pas la vie parfaite qui peut m’enseigner.  J’ai retourné les Evangiles. Je veux l’enseignement des vies imparfaites.

Le seul qui vaille.

Celui qu’on délivre sans le savoir. »

Mon premier coup de coeur en ce début d’année !

Jeanne Benameur, Profanes, Actes sud, Janvier 2013