Lincoln de Steven Spielberg et Dans la brume de Sergei Loznitsa
En pleine guerre de Sécession (1861-1865), Abraham Lincoln (1809-1865) cherche coûte que coûte à faire passer son 13ème amendement auprès de la Chambre des Représentants, persuadé que sa demande d’abolition de l’esclavage permettra d’arrêter la guerre, d’unifier le pays et d’en faire une nation modèle de démocratie dans le monde.
Adaptation d’un livre de la journaliste, historienne et biographe américaine Doris Kearns Goodwin (Team of Rivals: The Political Genius of Abraham Lincoln), le Lincoln de Spielberg revient sur les quatre derniers mois de la vie du 16ème président des États-Unis, assassiné en 1865.
Daniel Day-Lewis
Servi par un Daniel Day-Lewis toujours aussi charismatique et entouré d’une pléthore de stars (de Sally Field à Tommy Lee Jones en passant par John Hawkes ou David Strathairn), Lincoln est un biopic un brin fastidieux et beaucoup trop long en tout cas. Peuplé de discours des divers Représentants de la Chambre opposés à Lincoln et que ce dernier cherche à convaincre du bien-fondé de son 13ème amendement, Lincoln est mis en scène avec un art tel de l’emphase (que renforcent les compositions pompeuses et militaires de John Williams) qu’il confine à un certain académisme. Hormis la scène haletant du vote à la fin, on s’ennuie ferme dans cette vaste biographie qui mélange comme il se doit dans tout biopic qui se respecte des épisodes privés de la vie du Président américain (son fils est joué par Gordon-Levitt) à des campagnes de tractation et des longs discours pour convaincre ses opposants de changer d’avis, du moins de s’abstenir lors du grand vote.
Le débat qui devait être celui de Lincoln et qui n’a pas eu lieu hélas dans les médias est celui d’une mise en scène qui suscite étrangement de l’enthousiasme alors qu’elle est au final et somme toute assez conventionnelle voire conformiste.
Joseph Gordon-Levitt
Au biopic de celui qui est considéré comme l’un des Présidents les plus populaires et adulés des États-Unis (après Obama ?), on préfèrera un film qui n’a rien à voir mais qui est fascine notamment par le jeu de son acteur principal : Vladimir Svirski (dans le rôle de Souchénia). Il s’agit de Dans la brume, adaptation du roman éponyme de Vassil Bykov (1924-2003) par le Biélorusse Sergeï Loznitsa, issu du documentaire et dont c’est le second long-métrage après My Joy (2010).
L’histoire est simple et tragique. Pendant la seconde guerre-mondiale, Souchénia, un cheminot biélorusse, est accusé à tort de collaboration par les résistants. Personne pas même sa femme ne semble capable de croire à son innocence ni l’écouter quand il affirme, jusqu’au-boutiste, qu’il n’a jamais dénoncé personne malgré la torture. Alors que deux résistants l’ont amené dans une forêt pour l’exécuter, Souchénia s’en sort, « sauvé » in-extremis par l’intervention des soldats nazis qui blessent mortellement l’un deux.
Vladimir Svirski
De manière un peu conventionnelle et maladroite, le scénario revient à l’aide de flashs-backs sur le parcours de Souchénia et des deux résistants qui l’accompagnent, histoire de comprendre comment ils se sont retrouvés tous les trois dans cette forêt.
Film psychologique davantage que film de guerre, Dans la brume décrit la souffrance morale d’un homme qui doit affronter le jugement partial de ses pairs alors qu’il a paradoxalement fait preuve d’un courage inouï face à l’ennemi. Dans la brume, c’est le portrait d’un homme simple, un villageois biélorusse qui devait être un héros mais que l’on a pris pour un traître.
Avec lenteur, précision et un sens des détails hérité sans doute de la longue expérience dans le documentaire, la caméra de Loznitsa décrit le parcours de ce Souchénia empêtré malgré lui et ses efforts désespérés pour se défendre et s’en sortir, dans une situation de plus en plus absurde et inextricable. Une impasse morale qu’aucun mysticisme russe ne saurait rattraper selon Loznitsa. Pas de musiques et peu de dialogues dans ce film dont la mise en scène s’appuie intelligemment sur une forme de dépouillement et d’épure mais surtout sur les prouesses de son acteur principal. Dans la brume ne brille certes pas par la grandeur de sa réalisation (n’est pas Tarkovski qui veut) mais fascine en revanche par la justesse du jeu de Vladimir Svirski, tout en non-dits. L’expression incrédule de ce visage poupin traduit à elle seule une forme de naïveté (à comprendre dans le sens d’une innocence) et une souffrance muette qui sont touchantes. Par la retenue d’un jeu silencieux mais extraordinairement expressif, Svirski parvient à émouvoir et à donner chair au dilemme tragique qui est le sien, cette situation vouée à l’échec quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, quoi qu’il décide…
Dommage que la chute du film ne laisse pas davantage percer, dans ce brouillard, plus d’ambiguïté et de place à diverses interprétations. Petite déception au même titre que pour le scénario…