C’est d’ores et déjŕ un cas d’école : le nouveau long-courrier 787 se heurte ŕ d’incommensurables difficultés, les cinquante avions de ce type déjŕ livrés sont cloués au sol par la Federal Aviation Administration, la facture atteindra sans doute plusieurs milliards de dollars mais l’entreprise garde la tęte haute et un admirable sang-froid. Boeing est orfčvre en matičre de gestion de crise et le rappelle jour aprčs jour ŕ qui veut bien l’entendre.
Jim McNerney, PDG du groupe, ne semble pas inquiet outre mesure. Il utilise un ton mesuré, le męme qu’en d’autres circonstances plus tranquilles. Présentant les résultats financiers du groupe pour 2012, au demeurant excellents, il a laissé entendre que l’avenir ne serait pas obscurci par des problčmes pourtant jugés angoissants par nombre d’observateurs. La production du 787 continue d’ailleurs comme si de rien n’était, au rythme transitoire de cinq exemplaires par mois et, officiellement tout au moins, la confiance dans le programme est absolument intacte. Aprčs tout, il ne s’agit Ťqueť d’un vilain problčme de batteries lithium-ion, d’un enchaînement de circonstances malheureuses qui ne déstabiliseraient męme pas le producteur japonais GS Yuasa et moins encore Thales, responsable des systčmes électriques de l’avion américain. Il est vrai que GS Yuasa livre directement ses batteries aux Etats-Unis, ce qui ne préjuge pas pour autant du verdict final, ŕ savoir la découverte de points faibles dans la Ťsupply chainť, techniques ŕ proprement parler ou de contrôle de qualité.
La situation actuelle de Boeing est inédite. La société vient d’annoncer un chiffre d’affaires de 81,6 milliards de dollars, en progression de 10%, une marge de 9,3% comme on en connaît peu dans le secteur aérospatial et des perspectives 2013 trčs optimistes. Y compris l’intention d’encore accroître ses livraisons d’avions commerciaux, entre 635 et 645 appareils prévus pour l’année qui vient de commencer. Ce qui sous-entend que le 787 devrait bientôt revenir ŕ la normale, aprčs maîtrise et suppression de l’emballement thermique qui constitue apparemment la source du problčme actuel.
Cette attitude n’est pourtant pas unanimement partagée et, informations évidemment non attribuées ŕ qui que ce soit de crédible, on entend dire, ici et lŕ, que le 787 pourrait ętre immobilisé pendant de nombreuses semaines, voire plusieurs mois, le temps nécessaire ŕ la mise au point et ŕ la certification de batteries nouvelles ou profondément remaniées. Dans le męme temps, la maničre de faire des autorités américaines fait l’objet d’interrogations, dans la mesure oů elles sont tout ŕ la fois juge et partie : elles passent le dossier au peigne fin mais, ce faisant, elles contrôlent non seulement la maničre de faire de Boeing et de ses fournisseurs, mais aussi leur propre conduite en matičre de certification d’avions nouveaux.
Par ailleurs, il est évident que la politique d’externalisation des tâches de Boeing risque fort d’ętre mise en cause. Dans le męme temps, timidement, des critiques s’élčvent ŕ propos de la gestion de l’entreprise. Un consultant trčs écouté, Clive Irving, approuvé par d’autres commentateurs, estime en termes choisis que l’équipe dirigeante conduite par McNerney n’est peut-ętre pas ŕ la hauteur des problčmes posés. Et de citer Alan Mulally, qualifié de génie, directeur général trčs respecté de Ford, qui a quitté Boeing par dépit, il y a quelques années, faute d’avoir été promu au poste supręme.
En d’autres termes, Boeing gčre admirablement bien la crise actuelle mais sans parvenir pour autant ŕ occulter tout ŕ fait quelques lézardes qui commencent ŕ apparaître dans l’édifice.
Pierre Sparaco - AeroMorning