Le FMI avoue son erreur mais préfère adapter ses conclusions à la réalité a posteriori que remettre en cause sa méthode.
Un article de l'Aleps
Les experts du FMI ont battu leur coulpe et le tapage médiatique a été à la hauteur de l’évènement. Car le FMI a avoué l’erreur qu’il a commise quand il a calculé les effets d’une politique de rigueur sur la croissance. Le modèle prévisionnel que les « experts » du FMI avaient utilisé avait donné des résultats plutôt en faveur de la politique de rigueur. Mais voilà : ils s’étaient trompés dans les paramètres utilisés dans le modèle. Du coup, la rigueur devient une catastrophe aux yeux du FMI et il faudrait dare-dare revenir à la classique « relance » keynésienne.
Cet aveu et cette erreur sont affligeants : non seulement ils ôtent toute qualité au travail du FMI, mais ils conduisent aussi les « experts » à changer les chiffres quand les conclusions ne sont pas conformes à la réalité : excellente méthode !
Le mea culpa des experts du FMI
Que s’est-il passé du côté du FMI ? S’érigeant en conseiller universel, le FMI se croit régulièrement en droit de faire des prévisions sur les effets des diverses politiques économiques. Au cours des années précédentes, le FMI s’est appuyé sur un modèle économétrique bâti autour de l’idée d’un « multiplicateur budgétaire» (mot magique pour les keynésiens). Quand on injecte ou retire x milliards dans le budget, ces milliards ont un effet multiplicateur : 2x milliards de PIB en plus correspond à un multiplicateur de 2.Bonne nouvelle : le multiplicateur retenu par le FMI dans l’hypothèse où on retire x milliards serait de 0,5, ce qui signifie qu’une politique de rigueur tendant à diminuer la dépense publique de 2 milliards ne fait perdre « que » 1 milliard de croissance du PIB. D’où le conseil du FMI : amplifier la rigueur pour régler la question des déficits et de la dette publique, cela ne fait pas courir grand risque à la croissance.
Patratas : début janvier 2013, deux experts importants du FMI, dont Olivier Blanchard, économiste en chef, publiaient un document intitulé « Erreurs de prévision de croissance et multiplicateurs budgétaires ». Selon eux, le modèle qu’ils utilisaient aurait sous-estimé les effets du budget sur la croissance et le multiplicateur aurait été très supérieur à 1. Cela signifie pour eux que des mesures de rigueur budgétaire ont un fort effet récessionniste. Il faut donc en finir avec cette rigueur néfaste, puisque « l’austérité en période de crise est une erreur qui ne fait qu’aggraver la situation ».
De quoi ressusciter Keynes
Voilà du pain bénit pour les keynésiens. Ils tiennent leur revanche, alors qu’ils avaient été mis à mal par la crise des dettes souveraines, qui montrait que la relance budgétaire non seulement n’avait aucun effet positif sur la croissance, mais encore que l’accumulation des dettes plombait la croissance.
Le Monde vient au secours des experts du FMI et rappelle que Dominique Strauss-Kahn, alors directeur du FMI, qualifiait ceux qui voulaient redresser les budgets des pays européens, Grèce en tête, de « fous furieux ». Peut-être le Monde regrette-il la disparition de DSK ? Marianne s’engouffre dans la brèche sur six pages (« Rigueur : on a eu tout faux ! ») et même le très catholique Zenit, basé à Rome, en déduit hâtivement que « à trop tailler dans les dépenses, on tue la croissance » ; il appelle à la rescousse un expert « en doctrine sociale de l’Église et économie publique et de marché » (sic). Il n’y a pourtant pas là de quoi faire de Keynes un père de l’Église.
Les Keynésiens sont des obstinés. Ils continuent à voir dans la crise la conséquence des débordements du capitalisme, alors qu’elle est due aux dérapages du dirigisme. Ils nient la responsabilité des politiques monétaires (ouverture des vannes du crédit) et budgétaires (envol des déficits et des dettes publiques, aggravé encore par les « stimulus »). La campagne médiatique et le mea culpa du FMI visent simplement à ressusciter Keynes.
L’absurdité des modèles de prévision
En fait, ce que révèle surtout le mea culpa, c’est l’absurdité des modèles économétriques de prévision. Ces modèles ont tous les accents de la rigueur scientifique, puisqu’ils sont mathématiques, ils reposent sur des équations macro-économiques, qui elles-mêmes reposent sur des hypothèses, dont celle du fameux multiplicateur.
Mais il ne s’agit de rien d’autre que d’un acte de foi. La preuve en est que les experts du FMI changent leur modèle du jour au lendemain.
Dans un modèle, on obtient ce que l’on a mis. Si on y met au départ un lien mécanique et « multiplicateur » entre dépense publique et produit global, on est sûr d’obtenir en sens inverse qu'une réduction des dépenses publiques provoquera une récession.
En fait c’est la nature même de ces liaisons macro-économiques qui n’a aucun sens, car l’économie est faite de relations complexes entre une multitude de facteurs, y compris des réactions humaines imprévisibles et non quantifiables. Par contraste, construire des modèles capables d’annoncer à 0,1% près la croissance de l’an prochain est d’une prétention ridicule. Les prévisions de ce type n’ont aucune valeur, même approximative, et c’est pourtant sur les modèles les plus sophistiqués de l’INSEE que les gouvernements arrêtent leurs choix économiques, et notamment budgétaires.
La rigueur : pour le peuple ou pour l’État ?
L’autre absurdité de cette polémique consiste à parler de « rigueur budgétaire ». Or c’est un langage qui manque de rigueur…scientifique. En effet, il y a rigueur et rigueur, relance et relance.
La rigueur qui consiste, comme dans le budget 2013 en France, à vouloir réduire le déficit public par la hausse des impôts est une mauvaise rigueur. Car la hausse des impôts provoque une implosion de l’offre, de la production, en détruisant l’incitation à entreprendre, travailler, investir, créer plus. Elle incite à aller voir ailleurs ou à chercher des placements improductifs. Il n’y a qu’à voir les effets de la seule annonce d’une taxe à 75%, même provisoirement recalée. Les impôts supplémentaires créent à coup sûr de la récession, tandis que le déficit budgétaire persiste puisque les recettes fiscales diminuent, la matière fiscale s’étant dérobée.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une bonne rigueur. La bonne rigueur, c’est celle qu’on applique aux dépenses publiques en les réduisant massivement. Certains vont alors craindre pour les « services publics » ; mais, dans la mesure où ces services satisfont un vrai besoin, ils seront rendus par le secteur privé, moins coûteux et plus efficace. Loin de provoquer une récession, la réduction des dépenses publiques, comme le montrent les exemples des pays qui l’ont pratiquée (de la Suède au Canada), accompagnée d’une politique de privatisation, booste la croissance. Et l’effet d’entraînement est encore plus fort si elle s’accompagne d’une baisse de la progressivité des impôts, qui elle aussi stimule l’offre et accroît les recettes fiscales (effet Laffer).
La campagne sur la « vraie-fausse erreur » du FMI n’est qu’un écran de fumée pour réhabiliter les politiques de relance qui ont déjà provoqué et prolongé la crise. La vraie rigueur n’est pas celle que l’on impose au peuple, mais celle que doit s’imposer l’État.
---