Le Tueur (T11) La suite dans les idées

Publié le 06 février 2013 par Un_amour_de_bd @un_mour_de_bd

Devenu un homme riche, le Tueur peut enfin raccrocher. Mais Mariano, l’ami colombien, a besoin de ses talents particuliers pour faire disparaître certains concurrents gênants…

Scénario de Matz, dessin de Jacamon Public conseillé : Adolescent, Adulte

Style : Polar Paru chez Casterman, le 25 janvier 2013 Share

Présentation par l’éditeur

Petroleo Futuro Internacional, la grande compagnie pétrolière dans laquelle le Tueur a accepté de s’engager publiquement, tourne à plein régime depuis quatre ans et ses résultats dépassent toutes les espérances. Devenu un homme riche, le Tueur pourrait enfin raccrocher pour ne plus se consacrer qu’à sa famille. Mais on ne se débarrasse pas si aisément d’un pedigree aussi chèrement acquis. Mariano, l’ami colombien du Tueur, est devenu ministre dans son pays et n’aspire qu’à s’élever dans la hiérarchie, quitte à voir disparaître certains concurrents gênants. L’ex-truand décide donc de faire appel aux talents du Tueur. Lequel, à la fois par amitié et par désœuvrement, accepte de « rendre service » à Mariano…

De retour du Festival d’Angoulême 2013, je vous propose une forme différente de chroniques, plus courtes et enrichies par l’interview des auteurs.
Cette chronique fait suite à …

Ce que j’en pense

Déjà onze tomes que Matz et Jacamon nous offrent, avec une précision de sniper, leur « Tueur ». Avec « La suite dans les idées », c’est un nouveau cycle qui s’annonce et l’occasion pour Matz d’expérimenter de nouvelles pistes.
Bien sûr, Franck, le tueur, promène toujours son cynisme, sa froideur professionnelle et ses réflexions sur notre monde, mais pour la première fois, il semble « mortel ». La couverture annonce clairement la couleur : suite à un effet de bord, Le tueur est en grand danger. La peur de mourir, sa place de victime et les inévitables interrogations sur la mort le rendent plus humain. Cette proximité, le tueur la gagne aussi par ses motivations. à l’abri du besoin pour longtemps, l’argent n’est plus le moteur de son style de vie. C’est beaucoup par habitude et un peu par « amitié » que Franck accepte les nouveaux contrats de Mariano. Ses sentiments qui guident ses choix sont nouveaux et le rendent attachant.

Côté réflexions personnelles, dans « La suite dans les idées », notre tueur nous gratifie de ses opinions sur les organisations humanitaires. Fin observateur, Matz met le doigt sur les dérives humaines avec démonstration et exemples à l’appui et « justifie » (presque) les actes de son antihéros.

Comme à son habitude Matz balade son Tueur dans de nombreux lieux, aussi variés qu’exotiques. Dans une ville d’Amérique du sud, au milieu du désert de Guinée-Bissau, en apnée sur une barrière de corail, ou dans la jungle, ce grand prédateur est à son aise partout. Pour densifier son récit, Matz avance ou recule dans son récit en utilisant avec brio flash-back et flash-forward. Sa technique narrative est au quart de poil et son découpage d’une fluidité exemplaire.
Malgré le passage au dessin sur palette numérique depuis quelques temps Jacamon assure le spectacle. Plus détaillé, plus réaliste qu’au début, son trait est toujours aussi vif et percutant. Si je regrette un peu la colorisation informatique pour son aspect froid, le résultat visuel est plutôt adapté au récit. Capable de mettre en images tous les décors qu’exigent le récit, c’est vraiment dans les scènes d’action que son talent explose. Explorant des cadrages et des effets graphiques inédits (éclatements, inversions), il se sert du média « bande dessinée » avec virtuosité.

Avec « La suite dans les idées », j’ai repris avec bonheur une cartouche du « Tueur ». Malgré les nombreux albums, la série se renouvelle (doucement), tout en restant cohérente. Immergé dans les planches de Jacamon, j’ai apprécié ce bon moment de lecture, aussi introspectif, qu’explosif.



L’interview

Pour la première fois, le tueur est en danger. C’est le principe de base ?
M. Le tueur n’est pas un super héros. Il est très froid et maître de lui, mais il est blessé dans le premier cycle.
J. C’était une indication de Matz. Dans la scène d’action, je devais traduire cela. C’est difficile avec le tueur qui a un visage peu expressif. La couverture traite cela.

C’est difficile avec un personnage si peu expressif ?
J. Oui, s’il y a vraiment un personnage qui a très peu bougé en douze albums, c’est lui. Il a un dessin très simple, coupé à la serpe avec quelques traits. Les autres personnages se sont affinés au niveau des traits, du réalisme.

Techniquement, tu as beaucoup évolué. Tu dessines et colories sur informatique ?
J. Oui, complètement, je suis désolé (rire). C’est un choix que j’assume complètement.
M. Moi aussi, tout est informatique. Je travaille avec word. (rire)

Comment perçois-tu cette évolution ?
M. La partie graphique, c’est Luc ! C’est son domaine. Sur les derniers albums, je trouve que l’on sent plus de chaleur.

J’ai un peu l’impression contraire. La couleur informatique refroidit les ambiances ?
J. C’est un peu l’écueil, mais le froid, parfois est bienvenu. Il peut y avoir quelquefois des dégradés trop parfaits..
Sur les chromes des voitures par exemple ?
J.En même temps, les bagnoles, c’est de la carrosserie, métallique. On ne peut pas éviter.
Regardez le désert, le sable. J’ai justement essayé d’éviter les dégradés de sables de dune à l’infini. J’ai mis de la matière pour éviter le côté trop froid.

Les scènes d’action sont traitées de façon très différentes, très éclatées. Comment travaillez-vous sur ces parties ?
J. Matz donne ses indications que je suis parfois. Sur les scènes de grandes tensions, le graphisme prend le pas. j’interviens plus sur celles-là. Je peux être amené à découper complètement la mise en page. Ce n’est pas a priori ce à quoi pense un scénariste, sauf s’il dessine déjà lui-même. Tu ne dessines pas, toi ? (s’adressant à Matz)
M. Non, mais je fais un découpage « case par case »… En plus, Luc me dit qu’il n’aime pas spécialement les scènes d’action…(rire)
J. C’est surtout la ville, les décors urbains que je n’aime pas trop.

Il y en a assez peu.
M. C’est fait exprès. Quand on lance des albums, on en discute ensemble. On calibre pour voir ce que Luc a envie de dessiner. Il ne faut pas que ça devienne un pensum pour lui.
J. Par moment, il pense un peu à moi, ça fait du bien d’avoir des plages d’expression comme ça. Je m’en suis pas trop mal sort avec ces scènes a priori difficiles. Je les aborde en transpirant un peu, mais au bout du compte, je suis agréablement surpris. Certaines scènes qui sont au départ plus facile pour moi, à l’arrivée, je peux être déçu…

Dans les écoles d’arts graphiques, un exercice classique est de représenter un personnage qui pense. Les étudiants transpirent dessus et vous en avez fait une « marque de fabrique »…
M. C’est tout le principe ! C’est ce qui rend intéressant le travail en BD. C’est ce décalage.

Comment tu conçois cela ? comment caler le visuel ?
M. Moi, je le fais assez naturellement. Il faut que les images racontent une histoire. Il y a un thème ou deux par albums. Je réfléchis aux thèmes que je vais mette en place et comment l’action va rentrer en résonance avec les thèmes. C’est un raisonnement pour faire en sorte que ce soit cohérent et intéressant.

Le tueur en profite pour balancer des vérités sur ce qu’il pense. Sur cet album, c’est les ONG. C’est ton point de vue ?

M. C’est la vérité. Pour écrire « Le Tueur », je me documente beaucoup. J’essaye d’avoir le point de vue le plus large possible. Dans ce tome, on parle beaucoup des mensonges, des faux semblants. C’est possible de trouver des exemples concrets, comme le sac de riz de Kouchner…

Tu exprimes tes opinions ?
M. Ca dépend des fois. L’important c’est de créer un personnage cohérent. Je lis les informations et je me demande comment le tueur pourrait mouliner cela à sa sauce ? c’est devenu un personnage présent auquel je pense de manière presque constante. il y a des idées que je lui prête, qui ne sont pas nécessairement les miennes. C’est une démarche littéraire.

Vous le comparez à un « James Bond » des pauvres ?
M. C’est le « speech » de Mariano. C’est ce qu’il dit. Le concept de Bond, c’est qu’il a le permis de tuer. Le tueur dit que Bond est un héros impérialiste. C’est une analyse que j’ai reprise. Je vois ce qu’il veut dire, je le comprends, mais en même temps, j’aime bien Bond. Tout n’est pas aussi caricatural.

Comme dans Bond, il y a des changements de décor constants, en plus des changements « temporels » (flash-back, flash-forward)…
M. C’est ma façon de voir les choses dans la BD. Il faut secouer le lecteur. ça passe par ce qu’on dit, ce qu’on voit, donc des ruptures d’univers, de lieux, de chaleurs, d’atmosphères. ça fait partie des ruptures qui relancent l’intérêt, qui secouent le lecteur.
Après, on peut se demander « qu’est ce qui se passe ? « . C’est délibéré, pour entretenir l’intérêt du lecteur. De la même façon dans mon découpage, il y a en bas à droite de chaque double page, un truc qui est censé donner envie de tourner la page (une question, une surprise…). Je découpe systématiquement dans ce sens.

Y a-t-il des ambiances plus personnelles, plus faciles ?
J. J’aime particulièrement dessiner le chaos. Sous la forme d’une action, d’un décor. La jungle en est un. On a beaucoup de liberté à composer une image de nature. ça, j’aime bien contrairement à la ville où il faut être dans la réalité, la perspective. ça peut être vivant et très chaotique quand même.

Tu te sens moins libre sur une zone urbaine ?
J. Oui. il faut de la documentation. Si je dessine une rue de Bogota, il faut que ça correspondre, contrairement à la jungle que je dessine sans documentation maintenant.

Un merci tout particulier à Casterman pour la rencontre, à Jacamon et Matz pour leur enthousiasme et leur patience