Juste avant le nouvel an, je me suis blessée au genou. Bêtement. Juste en me relevant dans le métro un peu brusquement et en plaçant ma jambe en porte-à-faux. Elle n’a pas supporté mon corps et je suis tombée. Les lunettes presque collées au strapontin, déchirée comme le côté intérieur de mon genou gauche, par la douleur.
Ce mouvement tout bête m’a entravée pendant plus d’un mois. Peu importait l’interdiction de boire de l’alcool pour le réveillon ou de sauter partout comme d’habitude. Je bougeais avec difficulté, et surtout j’avais beaucoup de mal à marcher.
Tout d’abord, j’eus la pensée angoissante de devoir rester immobile pendant une période, privée d’expos, de sorties et de balades-photos. Et plus que tout je me suis empêchée de penser à la danse. J’ai refusé de prendre le traitement puissant, puis j’ai cédé pour une semaine seulement au Lamaline et autres comprimés que j’abhorrais. Peu à peu, j’ai cessé de boitiller. Rien ne pouvait agir autre que le temps. A l’intérieur, ça devait se réparer. Les fibres devaient se reconnecter. J’ai attendu. Au début sans ciller. Puis en recommençant à assister aux cours de danse, j’ai senti un fourmillement, un cri intérieur qui semblait réclamer de s’exprimer. J’étais spectatrice, observant les autres et notant les mouvements les plus anodins et la manière dont elles les faisaient. Je comprenais les indications de mon professeur les en voyant les réaliser. J’apprenais et je me détachais de moi.
J’ai repris doucement mes visites dans les galeries ou dans les salles de spectacle.
Tous les jours j’ai appliqué scrupuleusement de la crème anti-inflammatoire en détournant les yeux à chaque fois que je voyais mes tenues de danse sur mon étagère.
C’était difficile d’en discuter, car la blessure était bénigne, mais elle me bridait, me faisant otage du temps, d’une période. Je ne voulais pas m’étendre dessus.
Un jour, assise au fond de la salle, en souriant comme si je dansais, j’ai eu un sentiment prenant de tristesse. Comme si j’avais emprisonné en mois un désir d’émotions et de liberté. Je voulais ressentir à nouveau le plaisir d’expression, d’identité, de transmission et de joie de la danse. Je voulais sentir au plus profond de moi mes muscles se tendre et mon corps dessiner des lignes. Je voulais éprouver chacun de mes muscles sous les mouvements, les ondulations ou les pliés. Pour l’heure je regardais mes amies, me projetant tellement, qu’il m’arrivait de rêver d’elles.
J’ai commencé à voir un kiné, une dame qui m’a manipulée avec attention. Pendant qu’elle testait les liaisons à force de massage local, de tension sur la jambe et d’exercices, j’ai repris confiance. Je pouvais à nouveau tendre la jambe et agir plus ou moins normalement.
Pendant un cours, où je suis restée debout tant il y avait de monde, j’étais habitée par l’énergie du groupe et par le rythme.
Je voyais les enchainements de mouvements, les chorégraphies, je me représentais les nouveaux mouvements, je notais les transitions et je me répétais celles sur lesquelles je butais dans ma tête, je marquais les temps en ne forçant pas, le matin et le soir en me brossant les dents.
Et puis plus l’échéance approchait, plus je me suis imaginée reprendre. Je pensais au sourire radieux que j’aurais, aux mouvements dont l’éprouverais chaque étirement et au plaisir que j’aurais à sentir toutes les parties de mon corps se mettre en mouvement. Mes amies me soutenaient.