Trois membres d’une famille défavorisée ont étés expulsés du musée d’Orsay, à Paris, le samedi 26 janvier, alors qu’ils visitaient la salle des Van Gogh. Motif : leur odeur dérangeait les autres visiteurs. Mais ces visiteurs incommodés qui se sont plaints aux gardiens ont-ils oublié d’où provenait l’art, et plus précisément celui de Van Gogh ?
Édité par Agathe Mercante Auteur parrainé par Amandine Schmitt
La façade du musée d’Orsay en 2001, à Paris. (Florence Durand/Sipa)
Casse-toi pauvre !
Dans “Le Figaro” du mardi 29 janvier et dans “Le Parisien” du lendemain, j’ai lu que, samedi 26 janvier 2013, une petite famille avait été expulsée du musée d’Orsay à cause de… son odeur.
Pardonnez aux riches, ils ne savent pas ce qu’ils font
Samedi 26 janvier, les deux parents et leur fils de 12 ans, pauvres, arrivent donc au musée d’Orsay, accompagnés par un bénévole d’ATD. Ils mangent d’abord au restaurant du musée et le personnel est très prévenant, donc jusque-là tout va bien…
Puis les voilà dans les salles des Van Gogh, où ils découvrent les vibrations envoyées par la lumière des toiles. Les vibrations des Van Gogh sont-elles bonnes ? On n’en sait rien, mais ce qui est sûr, c’est que les vibrations que leur envoient leurs voisins de salle sont mauvaises, eux qui sentent bon et qui ne supportent pas leur mauvaise odeur. Car cette famille pauvre pue !
Mauvaise odeur des uns qui poussent les autres à se plaindre aux gardiens de ce déplaisir insupportable. Ceux qui admirent les œuvres d’un artiste qui lui-même était très loin de se laver tous les jours, pauvre qu’il était – mais dont les œuvres ne puent pas – souhaitent surtout jouir du confort de voir des œuvres d’art dans un musée prestigieux.
Le gardien avertit la surveillance et un peu plus tard, un peu plus loin, la petite famille et son accompagnateur bénévole sont priés par quatre gardiens de s’en aller tout de suite !
À la sortie, l’accompagnateur d’ATD demande des explications. Le musée – très embêté car très sensible à rendre le musée accessible à tous – lui dit qu’il a agi de la sorte pour protéger cette petite famille des remarques blessantes qu’elle aurait pu entendre. Le jeune bénévole, fine mouche, assure qu’il n’a rien entendu, mais le musée lui assure que l’on demande à ces pauvres de bien vouloir excuser ces riches d’être si méchants.
Cachez ces pauvres que je ne saurais voir
La famille accepte son sort, à la grande stupéfaction de son accompagnateur d’ATD. Pourtant il suffit de lire le roman d’Annie Ernaux, “La place”, pour comprendre que des gens qui n’ont pas l’habitude de venir dans des musées, ne sont pas étonnés qu’on leur dise, en substance, que ce n’est pas leur place.
C’est d’autant moins leur place qu’ils n’y viennent que très rarement. Je le sais car je suis guide conférencier indépendant ; je fréquente régulièrement tous ces lieux avec des groupes et j’en croise d’autres, composés de gens dont le niveau social n’a rien à voir avec cette petite famille.
Cette petite famille qui pue apporte au musée l’odeur de la misère, au milieu de touristes qui la fuient dans des hôtels 3 ou 4 étoiles de la capitale où éventuellement une partie du personnel peut vivre dans des conditions de précarité, mais ils ne le voient pas. Ici à Orsay, voilà que les pauvres font comme les riches, ils regardent, alors qu’ils puent ! C’est insupportable aux yeux de ceux qui font tout pour se distinguer. Donc, une petite plainte au gardien. Casse-toi, pauvre !
Van Gogh, un enfant de la misère, pas de l’opulence
Les gardiens, selon “Le Parisien”, sont là pour appliquer le règlement. Le règlement ne demande certainement pas d’expulser cette famille. Les gardiens pensent peut-être que, s’ils n’agissent pas ainsi – en écoutant la demande de confort, donc de tranquillité de la majorité – ils risquent des ennuis avec leur hiérarchie, ce en quoi ils se trompent vu la gêne du musée anticipant sur le retentissement possible de cette expulsion.
Mais les gardiens n’ont sans doute pas eu envie de prendre position – pour la tranquillité de cette famille pauvre – contre “l’intranquillité” de quelques autres. Mais pourquoi la direction n’est elle pas venue elle-même gérer la situation ?
Imaginons un responsable du musée prenant sous son aile cette petite famille, sentant lui-même leur odeur, et répondant avec beaucoup de finesse à tous ceux qui manifestent leur gêne, que s’ils regardent les tableaux de Van Gogh, il faut qu’ils sachent que c’est Van Gogh qui a peint ”Les vieux souliers” visibles dans l’exposition “Bohèmes” au Grand Palais.
“Bohème”, tiens, tiens, et se lavait-on souvent quand on vivait une vie de bohème ? Et ces vieux souliers, bonjour l’odeur des pieds qui en sortaient ! Van Gogh qui vivait lui-même dans la précarité, sentait-il bon ?
Quand on empêche un tiers jouir de l’art, on bafoue sa dignité
Revenons à la réalité. ATD signifie “Agir Tous pour la Dignité”. Et voilà le problème que pose cette famille pauvre à tous ceux qui l’entourent de leur malveillance : comment rester digne dans le “malheur” qu’ils éprouvent à devoir se passer d’un de leur sens, l’odorat, eux qui sont habitués à ne se passer de rien ?
Rester digne, c’est résister à la tentation d’aller se plaindre au gardien de cet inconfort, en se rappelant que c’est par ce chaos, ce trouble, que commence notre vraie relation à l’art qui n’est lui-même que le chaos et le trouble vécus par un artiste et dont l’œuvre en est la trace.
Comment ne pas penser avec cette histoire à l’expérience des publics “empêchés” – les détenus – que le Centre Pompidou vient de vivre à la centrale d’Osny, deux ans après l’expérience du Louvre à la centrale de Poissy. Ici, un effet domino a poussé le musée d’Orsay à empêcher une petite famille pauvre de jouir de l’art.
Guide conférencier, est-ce que j’organise des visites avec des gens pauvres ? Non et je le déplore. C’est pour cela que j’ai pris contact avec ATD afin de tenter de changer cela.
Affaire à suivre donc…
Source: Le Plus