Partir à la découverte des hommes du passé (...), c'est poser pour principe que la nécessité de comprendre ne doit jamais le céder en rien au désir de tout expliquer. L'ignorance avouée n'est pas un échec, mais la conscience prise des espaces à découvrir.
A vouloir occuper ceux-ci, à tout prix, par les chatoyances de l'imagination, plaisir de l'instant, l'on ne peut que s'écarter davantage de ces hommes du lointain que l'on se proposait de rejoindre.
Dimitri MEEKS
Approche de la civilisation égyptienne
dans Egypte et Provence -
Civilisation, survivances et "Cabinetz de curiositez"
Avignon, Fondation du Museum Calvet, 1985
p. 15
Souvenez-vous, amis visiteurs : lors de notre rencontre du 15 janvier dernier, je tins absolument à sacrifier aux présentations d'usage de manière à vous permettre de mieux connaître Tepemânkh, ce nouvel "Ouvreur de chemins" destiné à nous accompagner un temps lors du premier trimestre de cette nouvelle année académique.
Parce que j'escomptais bien par la suite y revenir avec force détails, je n'avais à l'époque cru bon que de simplement vous citer le prénom des autres personnages présents au registre inférieur de l'imposant bloc de calcaire E 25408
exposé dans le très haut mur-vitrine séparateur, au centre de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Peut-être l'avez-vous oublié, mais nous les avions également croisés au premier étage
de cette "Aile Sully", dans la Galerie d'étude n° 2 de la salle 22, sur un autre important fragment provenant du même mastaba D 20 du cimetière ouest de Gizeh.
Pour l'heure, approchons-nous d'eux voulez-vous, aux fins de comprendre la raison de leur présence dans la tombe de Tepemânkh.
A la différence du bloc E 11161 de la salle 22, sur E 25408 ici devant vous, les fils n'avancent pas vers leurs parents - Tepemânkh se tenait en effet là-haut aux côtés de son épouse Aoutib -, mais sont agenouillés devant leur père assis à sa table d'offrandes : ce lien de parenté, ce lien de filiation est clairement indiqué sur les deux monuments, devant chacun des personnages sur l'un, au-dessus de leur tête sur l'autre.
Si à l'étage, seuls les deux premiers fils arboraient un vêtement à devanteau triangulaire entourant leur taille, ici devant nous, tous sont ceints d'un autre type de pagne de lin, très simple, court et collant, que l'on retrouve donc à cinq reprises sur les deux bas-reliefs.
Tous portent également la perruque courte, typiquement masculine, sauf ici le premier
qui a manifestement opté pour une coiffure un peu plus longue lui couvrant la nuque.
Ces quelques petits détails mis à part, ces deux scènes ressortissent au même rituel : les quatre jeunes hommes, en bons fils aimant, pourvoient aux besoins d'offrandes funéraires de leurs parents sur l'un, d'uniquement leur père, sur l'autre.
En salle 22, Qaptah, le premier à gauche, tend une fleur de lotus, symbole - je l'ai déjà souvent souligné au sein de la rubrique Décodage de l'image égyptienne - de régénérescence des défunts ; Khénouka, le deuxième, présente un canard - également symbole régénérateur - ; le troisième, Kaenitef, une aiguière et le bassin qui l'accompagne, connotant évidemment une notion de pureté et enfin, en quatrième position, Tepemânkh le jeune, propose un plateau de divers pains ; offrande alimentaire celle-là sur laquelle, après notre rendez-vous de la semaine dernière, vous me permettrez de ne plus m'appesantir.
Relevant du même rituel, quelques peu différentes sont toutefois les offrandes proposées par ses fils à ce père aimé sur le bloc E 25408 ici dans la grande vitrine 5 : ainsi, Khenouka, en première position, le genou gauche posé sur le sol, la jambe droite relevée, tend la main droite vers Tepemânkh assis de l'autre côté de la table, et récite (ou chante ?) un texte manifestement écrit sur le papyrus qu'il tient dans la gauche.
Deux autres de ses frères, Qaptah et Kaenitef, pour leur part complètement agenouillés, tendent chacun deux vases évasés, contenant soit des produits de purification, comme de l'encens, soit du vin.
Quoi qu'il en soit, ce geste simple métaphorise la notion d'offrande.
Quant au quatrième fils - car n'en déplaise à ceux qui sur le Net ont vu ce monument sans véritablement le regarder - il exista bien, avant que cette scène subisse quelques déprédations sur son côté droit, un quatrième homme derrière les trois autres dont on n'aperçoit plus que deux mains tenant également chacune le même petit récipient et, au-dessus, le début des deux hiéroglyphes signifiant : son fils.
Si comme moi vous vous référez au bloc fragmentaire E 11161 de la salle 22 que je viens d'évoquer, vous n'aurez aucune difficulté, amis visiteurs, à considérer qu'il s'agit de Tepemânkh junior.
Vous aurez aussi bien évidemment remarqué sur chacune de ces deux pièces la différence de taille notoire entre le personnage assis et ceux qui l'honorent : il s'agit, comme déjà je l'ai ailleurs expliqué, de l'application d'une convention qui veut que l'on figure traditionnellement le propriétaire d'une tombe en taille héroïque, - selon la terminologie habituellement employée par les égyptologues. Le maître sera dès lors reconnu en tant que tel ; les autres, quels qu'ils soient par rapport à lui, quels que soient leur âge, leur sexe et leur condition sociale, étant obligatoirement de taille réduite.
Cet apport d'offrandes essentiellement alimentaires de la part d'un ou de plusieurs enfants de défunts fait évidemment partie intégrante d'un processus ritualisé de devoirs post mortem sur lequel je me suis également épanché lors d'une intervention dédiée à Metchetchi, ici même, en décembre 2011.
Si, d'aventure, cette conversation à propos de l'amour filial vis-à-vis d'un père défunt vous a échappé ou si votre mémoire vous fait quelque peu défaut, puis-je vous suggérer de profiter du repos que je nous octroie la prochaine semaine aux fins de dignement célébrer le carnaval pour, éventuellement, prendre le temps de relire les notes que je vous avais alors fournies ?
Tout en vous souhaitant un excellent congé, je fixe d'ores et déjà notre nouveau rendez-vous au mardi 19 février, toujours devant le bas-relief de Tepemânkh, dans la vitrine 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Bon carnaval à tous !