En hommage aux poilus
Marc Dugain est de ceux qui rencontre l’écriture ou plutôt le succès sur le tard. Entrepreneur, il décide de se consacrer à la littérature au milieu des années 90, et sort dans la foulée son premier roman. Enfant, l’auteur a accompagné son grand père à « La maison des Gueules cassées » de Moussy-le-Vieux, un établissement hébergeant les poilus revenus défigurés du front. En 1998, il publie « la chambre des officiers », en forme d’hommage. Salué par la critique (une vingtaine de prix littéraires), plébiscité par le public, l’ouvrage est adapté par François Dupeyron en 2001…nominé à Cannes et remporte deux Césars. Suivrons notamment plusieurs ouvrage sur bases de faits historiques prenant pour thème Edgar Hoover, Edmund Kemper ou le naufrage du Koursk.
Court roman, il raconte l’histoire d’un jeune officier, qui quitte sa situation et le très jeune amour de sa vie pour le front avant de revenir mutilé quelques jours après le début du conflit. Défiguré, Adrien Fournier vivra l’ensemble de la grande guerre dans les locaux de l’hôpital du Val de grâce. Cinq années de souffrance et d’isolement en compagnie de quelques officiers mal en point, que les affres de la guerre a réuni. Au désespoir se substituent la camaraderie et les projets. Les parties de belottes, les discussions appliquées, la reprise de conscience de son corps et du monde qui l’entoure. Les femmes que l’on dégoute, la famille à l’écart, apprendre à s’approprier un visage sans nez, sans lèvres, sans yeux ou sans palais. La guerre se termine, les vaincus signent, les blessés sortent. Ils sont baladés de représentations en activités culturelles, la patrie tient à montrer à ses gueules cassées qu’elle n’a pas oublié leur sacrifice. Des excès bien sûr, des espoirs perdus aussi comme celui de reconquérir Clémence, son amour perdu. La crise, et de nouveau la guerre, la fuite parce que l’un de ses héros de guerre à le mauvais goût d’être juif.
Un style tout en sobriété
De cette histoire, qui est apparemment inspirée de celle de son grand père maternelle, Marc Dugain a su faire un ouvrage incisif et humain. Sans échapper aux clichés (jeune officier/jeune fille/dernière nuit/je t’attendrais peut être) l’auteur ne fait pas l’erreur de tomber dans le pathos ou le sentimentalisme, préférant un traitement sobre mais efficace. Les évènements s’enchainent très vite, sans forcément toujours beaucoup de détails, mais le récit tient la route et dynamise la lecture :
« Une détonation part tout près. Un sifflement d'un quart de seconde. Je sens comme une hache qui vient s'enfoncer sous la base de mon nez. Puis, on coupe la lumière. »
L’écriture, malgré quelques écarts comme :
« Il m’arrive souvent de revoir ce front et ces yeux bleus, parfaitement dessinés, qui surplombaient, désolés, les restes d’un visage meurtri par la guerre des hommes »
ou quelques fulgurances à la manière de :
« L’intelligence limitée de ma mère avait survécu à l’ombre de la personnalité de mon père »
« Penanster salua et tourna le dos à cette famille de bourgeois haussmanniens qui semblaient sortir d’une médiocre pièce de boulevard où la tristesse finissait par l’emporter sur la bouffonnerie. »
est dans la même veine, tout en simplicité et en réalisme.
L’erreur serait, comme tout bon Célinien un peu aigri, de chercher dans « La chambre des officiers », un peu de « Voyage au bout de la nuit ». A part une vague trame historique (la guerre 14-18), les livres n’ont en effet pas grand-chose à voir. On vient à Céline souvent par défi ou snobisme, on choisit ensuite de le lire par adhésion à son style si particulier. L’ouvrage de Dugain est, à mon sens, beaucoup plus accessible.
On pourra aussi trouver de l’intérêt dans la reproduction succincte mais vivante du quotidien d’un blessé de la grande guerre. Les opérations se succèdent, la morphine manque bien souvent, et la médecine maintient en vie mais reconstruit peu ou mal :
« On fixe le poignet du blessé sur le sommet de son crane avec une attèle métallique ou un plâtre, de façon que son biceps soit en contact avec son nez. Il suffit alors d’inciser la peau du biceps et de la faire adhérer au nez en attendant que la greffe prenne et que la peau revive d’elle-même. »
Malgré la dureté des descriptions, l’auteur a su en parler avec pudeur, sans réduire la distance avec son lecteur. On se sent tout de suite pris dans le récit sans que l’auteur nous prenne la main pour nous raconter Son histoire. Il y a une vrai volonté de partager plutôt que d’imposer un texte et une histoire, et ce avec dignité.
A lire ou pas ?
Accessible, dynamique et humain, c’est en ces mots que je qualifierais l’ouvrage de Marc Dugain. Sans occulter le message de fond sur les atrocités de la guerre ni tomber dans l’avalanche de bons sentiments, l’auteur a réussi un habile mariage entre histoire, littérature et témoignage plus personnel. Le film vaut-il le détour ? Donnez-nous votre avis.
PS : Suffisamment rare pour être signalé, la couverture de l’édition poche a un petit côté Francis Bacon trop coloré qui est plutôt plaisant.
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