L'avis d'Emmanuel
Gabo pour les intimes...On ne présente plus guère Mathieu Gaborit, surtout aux aux habitués du BdB qui ont pu lire les chroniques faites par JB de ses ouvrages les plus récents (Bohèmeet Chroniques du Soupir). Jeune prodige français des littératures de l'imaginaire et amateur de jeux de rôles, il a été révélé en 1995 par le cycle dont nous allons parler aujourd'hui, qu'il prolongera rapidement par celui d'Abyme, situé dans le même univers et est ainsi devenu l'une des têtes de file de la fantasy française contemporaine (je ne cite personne d'autre pour éviter tout qui pro quo ou commentaire agacé). Ma précédente et seule rencontre avec lui fut toutefois décevante puisque les Confessions d'un Automate mangeur d'opium, qu'il avait co-écrit avec Fabrice Colin, malgré son titre alléchant et son univers steampunk plutôt bien ficelé, m'étaient apparues bien fades. J'ai depuis recroisé Fabrice Colin (Elric, Les buveurs d'âme) et ai été tellement déçu que je me sentais tout à fait prêt à mettre à son compte la plupart des défauts de l'ouvrage. Encore fallait-il que je rencontre vraiment Mathieu Gaborit pour me faire une idée personnelle de sa prose et de son univers. C'est donc avec un réel enthousiasme que je me suis attaqué aux 500 pages des Chroniques des Crépusculaires (dans leur version poche éditée chez J'ai Lu, précision importante car de multiples éditions se sont succédé depuis la parution initiale en 1995-96 plusieurs foisrevues et complétées par l'auteur).
Agone de RochrondeLes Chroniques des Crépusculairesracontent la destinée d'Agone, Prince-héritier de Rochronde, l'une des baronnies les plus fameuses d'Urguemand qui, après avoir montré dans son enfance des dispositions assez exceptionnelles pour sa future fonction (qualités martiales, persévérance, penchants cruels...), a renoncé à son héritage pour embrasser l'ascèse offerte par une carrière d'enseignant itinérant au sein de l'ordre de Précéptorale. Le testament laissé par son père à sa mort, l'obligera toutefois à mettre pour quelques jours de côté cet idéal de vie pour entrer au Souffre-Jour, collège mystérieux maintenu dans une obscurité éternelle par les arbres magiques du même nom, dont l'accès est réservé à quelques élus formés aux arts de l'intrigue et de la manipulation. Il y fera forger une rapière pensante (et aimante), Pénombre, y découvrira un terrible complot dont il sera malgré lui une pièce maîtresse et en ressortira changé à jamais et contraint de devenir le défenseur de l'équilibre des forces magiques, mis à mal par l'anéantissement du Cryptogramme-magicien, et le sauveur d'Urguemand. Il paiera pour cela de son intégrité physique et mentale et sera bien sûr épaulé par quelques héros intrépides, magiciens, nains ou lutins (appartenant à l'attachante confrérie des petits chasseurs, qui arpentent jour et nuit les toits des villes afin de capturer en douceur les Danseurs, sources de toute magie dans l'univers décrit par Gaborit) qui se lieront d'amitié avec lui après avoir croisé sa route de souffrances.
Fou rêveur plutôt que savant douxCe bref (très bref) résumé suffit à mettre en avant la principale (et très grande) qualité de l'ouvrage : son inventivité et son originalité. Quand la Fantasy contemporaine se contente le plus souvent de pasticher Tolkien et Donjons et Dragons (le jeu de rôles) en déclinant à l'infini les canons du genre (elfes/nains/gobelins, guerrier/magicien/voleur, princesse à conquérir/trésor à découvrir/royaume à défendre...), Gaborit a su habillement se les approprier et les teinter de toute la richesse de son imagination jusqu'à parvenir à les rendre méconnaissables. Agone est un anti-héros qui court après sa destinée mais qui a peu en commun avec Elric (bien que la rapière dotée d'une âme eut pu rappeler Stormbringer) ou avec Fitzchevalerie, le héros de Robin Hobb (L'Assassin Royal). La magie est au cœur de l'intrigue et des péripéties des Chroniques des Crépusculaires, comme bien souvent dans les cycles de fantasy, mais les danseurs qui en sont la source, cajolés par les uns et torturés par les autres pour leur faire exprimer leur pouvoir sont une invention bien plus poétique et riche que les manas et autres fluides magiques que les sorciers manipulent le plus souvent. Sans parler du Souffre-Jour, des petits chasseurs, de l'orgue nain qui enregistre tous les sons de la ville, des provinces liturgiques et de l'ordre défroqué, ces prêtres zombies qui combattent à leur solde ou encore de l'Accord, forme alternative, mélodique, de magie qui sont autant de fantaisies (revenons à la forme et au sens français du terme) dont on se délecte au fil des pages, qui se tournent bien vite.
Malheureusement cet imaginaire richissime trouve un contrepoint un peu amer dans la qualité globalement faible de la narration. Pêché de jeunesse prêcheront certains, défaut jamais totalement corrigé diront d'autres, je ne peux juger, n'ayant pas lu d’œuvre récente de Mathieu Gaborit. Ce qui est certain c'est que l'intrigue tend à avancer par à-coups et à être alimentée plus souvent grâce à l'une des trouvailles sus-citées que Mathieu sort de son chapeau que par un enchaînement logique de péripéties structurées. Ce qui, combiné à une tendance un peu désagréable à laisser de côté les fameuses trouvailles que l'on aurait bien aimé voir exploitées plus en profondeur donne un rythme un peu chaotique à l'ensemble additionné d'un je ne sais quoi de brouillon.
A lire ou pas ?Oui, clairement pour tous les amateurs de littératures de l'imaginaire. On sent nettement le passé de rôliste de l'auteur à la lecture des Chroniques des Crépusculaireset se délecte de son univers tellement inventif. Mon seul regret, vous l'aurez compris, concerne la trame narrative qui aurait mérité, pour faire de ce cycle un incontournable absolu, un peu plus de structuration. La qualité de la plupart des productions de fantasy est toutefois tellement faible que Les Chroniques des Crépusculairesfont en regard figure de joyau scintillant en compagnie duquel vous passerez sans nul doute un très agréable moment.
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