« Avec un allié économique comme l’Allemagne, nous n’avons plus besoin d’ennemi »

Publié le 18 octobre 2012 par Infoguerre

Dans un entretien publié, hier, par l'hebdomadaire Marianne, le politologue et démographe Emmanuel Todd décrit avec sa virulence habituelle les enjeux de la crise européenne actuelle. Sans dénoncer Hollande, après 6 mois d'exercice du pouvoir, il affirme : « La France est au bord du gouffre. La vérité d'Hollande, c'est que dans cinq ans il sera soit un géant, soit un nain. L'un ou l'autre, pas de destin moyen possible. » Dans ce long entretien, Todd aborde plusieurs sujets et abat les lieux communs de la pensée économique dominante, suivons-le dans ce réquisitoire éclaircissant.

L'échec des politiques de relance, pratiquées aux Etats-Unis et dans quelques pays d'Europe, notamment la France, après 2008. Ces politiques de quantitive easing ou de relance ne peuvent pas fonctionner en économie ouverte, elles n'ont fait qu'augmenter le déficit et la dette des Etats sans relancer la demande interne. Les banques et les prêteurs se sont engraissés. Et seuls la Chine, l'Allemagne et d'autres pays exportateurs qui ont comprimé leur demande nationale, ont bénéficié de cette relance absurde. Stiglitz et Krugman les principaux défenseurs de cette relance sont étrillés par Todd, selon lui, les deux économistes officiels de la gauche libérale décrivent l'insuffisance tendancielle de la demande mondiale mais oublient la conversion de Keynes au protectionnisme. Ainsi ceux qui réclament la relance pour la relance ne sont pas plus crédibles que les partisans de l'austérité aveugle.

L'échec de l'Euro. En accord avec les économistes anglo-saxons, Todd ne croit pas en l'avenir de l'Euro, porteur de dysfonctions et d'aberrations : les taux d'intérêt montent dans les pays faibles alors qu'il y a une surabondance d'épargne. « La déroute de l’industrie française, notre entrée en déficit commercial massif sont le produit de l'Euro, comment penser une politique industrielle si l'activité principale des gouvernements européens est de sauver une monnaie qui ne marche pas. L'euro ne marchera jamais, il faut être lâche, corrompu ou schizophrène pour ne pas l'admettre, la priorité c'est la fin de l'euro. Il y a deux conditions pour que la présidence socialiste ne soit pas un désastre : sortir de l’Euro et déclarer que des secteurs d’avenir technologiques, comme les énergies renouvelables, doivent être protégés comme des biens culturels. »
- L'euro, instrument de la prédominance allemande en Europe. Renonçant à ses conceptions protectionnistes européennes permettant de protéger et de rassembler l’Europe, Emmanuel Todd estime que l’Allemagne est le problème de l’Europe : « Tout le monde n'a pas compris que l'euro, qui était censé mettre l'Allemagne en tutelle, est devenu l'instrument de son hégémonique et que l'euro transforme le système européen de nations libres et égales en un monstre hiérarchique. » Todd dénonce un lieu commun : l'Union fait la force, l’Europe serait plus puissante pour se défendre qu'un pays isolé. « C'est faux, la globalisation conduit à l'affrontement entre voisins : quand les allemands mènent une politique de compression salariale, pour abaisser le cout du travail, l'impact est nul sur l'économie chinoise, mais considérable pour ses partenaires de la zone. Quand la Chine manipule le yuan, c'est contre la Thaïlande, l'Indonésie ou le Brésil ses concurrents en main d'œuvre à bas coût. Ce que nous constatons c'est une tendance des émergents à se battre entre eux et des développés à s'exterminer industriellement entre eux. Ce mécanisme a fait de la zone euro un piège, avec l'Allemagne dont l'économie est la plus puissante, en renard dans le poulailler. »
- "L'amitié franco-allemande", l'autre nom de la névrose franco-allemande des classes supérieures françaises. « Dès que l'on commence à parler de l'Allemagne sur un mode pragmatique, en termes de rapports de force, on est accusé d'anti germanisme. On a le droit de critiquer les Anglais, les Grecs, ou les Italiens – nos proches culturels et nos vrais amis. Mais on ne pourrait plus rien dire des Allemands considérant qu'ils pourraient en souffrir compte tenu de leur pénible histoire. En somme l'Allemagne ayant massacré 6 millions de juifs, on ne peut plus la critiquer, elle a été sacralisée par la Shoah. C'est absurde, traitons l'Allemagne comme n'importe quel pays, elle se moque de nous. »
- La stratégie nationale de l'Allemagne contre l'Europe : « elle mène une politique strictement nationale, profite de l'Euro qui nous interdit de dévaluer et de faire baisser notre coût du travail, elle renonce au prix d'un partenariat énergétique avec la Russie à l'énergie nucléaire, en attendant une entente commerciale avec la Chine, le tout sans jamais consulter ses partenaires européens. Avec un allié économique comme l'Allemagne, nous n'avons plus besoin d'ennemi. On peut même se demander si sa stratégie ne consiste pas à faire perdurer l'euro encore cinq ans, en espérant qu'en 2017 il n'y aura plus d'industrie française. » Décrivant les faiblesses démographiques de l'Allemagne, les délocalisations de chaines de production en Europe de l'Est pour éviter une immigration de masse, Todd se demande pour quelles raisons l'Allemagne s'obstine à exiger de ses partenaires une rigueur qui va se retourner contre elle. « S'agit-il d'une priorité donnée à sa domination politique ? Ou de ce manque de souplesse, de ce rapport distant à la réalité qui est le style même de l'histoire allemande. »

En lisant cet entretien, nous retrouvons presque le Bainville des années 20 et 30, un des seuls à avoir estimé à sa juste valeur la menace allemande. Il ne s'agit pas ici de comparer les périodes, mais de préciser qu'il y a des permanences dans l'histoire et qu’il peut exister des ressemblances troublantes. Il y a près de 90 ans, dans un article publié dans l'Action Française le 25 novembre 1926, intitulé Les deux politiques, Bainville écrit : « L’Allemagne est demanderesse, ce qui est une position favorable [affranchissement du traité de Versailles et évacuation de la Ruhr en 1925]. L’Allemagne dispose d’un plan très clair, mené par M. Stresemann avec le maximum de souplesse dont peut disposer un allemand. [Face à cette politique discrète mais efficace], les conceptions du gouvernement français sont confuses et trahissent une certaine faiblesse, il n’est pas difficile de voir ou est la supériorité ni sur quel tableau doivent s’additionner les gains.» En 2012, ces avertissements ne doivent pas être oubliés.

Rémy Berthonneau