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La diplomatie brésilienne du bioéthanol : des agrocarburants pour développer l’Afrique ?

Publié le 01 novembre 2012 par Leblogdudd

La diplomatie brésilienne du bioéthanol : des agrocarburants pour développer l’Afrique ?

Temps de lecture estimé : 5 min

La diplomatie brésilienne du bioéthanol : des agrocarburants pour développer l’Afrique ?

La diplomatie du bioéthanol est une politique de coopération Sud-Sud initiée et promue par Lula, ex-président brésilien, au bilan encensé par les instances intergouvernementales et plébiscité par son peuple. Elle consiste à répliquer à l’Afrique le modèle de développement économique brésilien basé sur la valorisation de cultures industrielles de canne à sucre en bioéthanol pour l’accès à l’indépendance énergétique.

Ce modèle a été développé au Brésil dans les années 1970 avant la découverte d’importantes réserves de pétrole dont dispose actuellement le pays. Des filières de production industrielle de canne à sucre destinées à la production d’agrocarburants (le bioéthanol) ont été structurées dans un contexte global de développement de l’agro-industrie, permettant au pays d’accéder à la sécurité alimentaire et à l’indépendance énergétique. Depuis 2003 le Brésil a lancé la production à grande échelle du moteur « flex-fuel » fonctionnant aussi bien au bioéthanol qu’à l’essence conventionnelle. La production industrielle de bioéthanol est un succès au Brésil, son coût de production est inférieur à celui de l’essence, et actuellement, plus de 95% des véhicules vendus fonctionnent au biocarburant. Il s’agit d’une véritable révolution énergétique dans ce pays qui vante les mérites de son modèle tant sur les plans économique et social qu’environnemental.
Le bioéthanol de canne est selon les porte-paroles brésiliens le seul agro-carburant de première génération véritablement efficace sur le plan énergétique : une calorie fossile investie dans le cycle de production et de transformation du bioéthanol permet de récupérer entre 8 et 10 calories « renouvelables » de bioéthanol ; Par ailleurs les déchets de production peuvent être valorisés en fertilisants naturels et en électricité « verte » via le processus de cogénération.
Les brésiliens mettent également en avant le fait que, contrairement aux autres agrocarburants, le bioéthanol de canne à sucre n’est pas responsable de la hausse des prix des denrées alimentaires car la production de cannes destinées au bioéthanol est spécifique à cet usage. La canne à sucre à destination énergétique est une matière première non substituable aux matières premières alimentaires dont la spéculation ne  serait pas corrélée à la production de canne à sucre énergétique.

Toutefois, en termes d’accès aux terres et à l’eau, la culture de canne à sucre entre bel et bien en compétition avec des cultures alimentaires, l’argument de la disponibilité suffisante de terres et d’eau dans certains écosystèmes est mise en avant par les brésiliens. Afin d’éclairer ce débat, de nombreuses études scientifiques sont en cours pour évaluer tant la pertinence écologique du modèle que ses répercutions économiques et sociales. Quoiqu’il en soit les brésiliens travaillent déjà à l’élaboration de techniques permettant des produire du bioéthanol de 2ème génération à partir de canne à sucre, à savoir issu des déchets de cannes pressées pour l’extraction du jus servant à produire le sucre.
C’est ce modèle sensé permettre l’accès à la sécurité énergétique, au développement du secteur agricole et générateur de croissance économique que le Brésil souhaite répliquer à l’Afrique.
Cette Afrique qu’une proximité culturelle, ethnique et historique avec un Brésil soudainement mu par un élan de solidarité confraternelle désignerait comme la partenaire naturelle de réplication de son modèle.
Cette Afrique surtout au sous-sol riche de pétrole léger, de fer et de charbon, dont le Brésil est dépendant pour la croissance de son économie. Cette Afrique encore et son marché de bientôt 1 milliard de consommateurs, puis 2 milliards en 2050, dont le pouvoir d’achat croit au même rythme que l’économie du continent, soit près de 6% par an depuis bientôt 10 ans. Ce qui en fait un débouché idéal et convoité des productions industrielles brésilienne, indienne ou chinoise. Cette Afrique toujours aux 60% de terres arables non cultivées de la planète, terrain d’expansion idéal d’une agro-industrie brésilienne pourvoyant aux besoins alimentaire et énergétique des 9 milliards de consommateurs prévus en 2050.
Cette Afrique enfin où s’intensifie la lutte d’influence entre les différentes puissances de la planète : l’Europe, le Moyen Orient, l’Amérique du Nord, et maintenant la Chine, l’Inde et le Brésil se disputent les faveurs des dirigeants du continent noir pour l’accès (l’accaparement ?) des ressources minérales, fossiles ou biologiques dont il regorge.

La réplication de son modèle en Afrique, dont le potentiel de production agricole est gigantesque, permettrait au géant sud-américain de devenir le leader mondial des producteurs de biocarburants et d’acquérir un poids diplomatique considérable dans un monde où le contrôle de l’énergie devient stratégique. Certains apparatchiks du pétrole imposent une guerre économique sans merci à ceux qui osent proposer un modèle « alternatif » et le Brésil, malgré son poids économique, doit disposer d’appuis diplomatiques puissants pour réussir à créer un marché international du bioéthanol.
Si cet élan développementaliste du Brésil en Afrique n’est ni purement philanthropique ni franchement désintéressé il n’en demeure pas moins potentiellement bénéfique pour les intérêts africains. En effet le Brésil, qui possède les mêmes conditions écologiques, pédologiques et climatiques qu’un grand nombre de pays africains, a su valoriser ces atouts naturels et baser son développement économique sur l’exploitation durable de ressources renouvelables.
Certes, de vastes zones d’ombres subsistent, la protection de l’environnement et le droit des populations autochtones sont encore loin d’être idéales au Brésil où les critères de développement « durable » sont largement perfectibles, mais au moins ce modèle a rendu le pays indépendant de la tutelle occidentale et a permis l’atteinte de l’indépendance énergétique et alimentaire.
Si ce modèle est reproductible en Afrique, comme le vante la diplomatie brésilienne, alors le potentiel de développement économique et social est immense pour le continent noir mais la vigilance des dirigeants africains est une condition indispensable à un transfert de modèle réussi. Car pour le moment, dans de nombreux cas, le transfert du « modèle brésilien » est opéré en Afrique par de grands groupes industriels contrôlant toute la chaine de production et captant l’intégralité de la valeur ajoutée. Les terres sur lesquelles ils se développent leur sont souvent octroyées par des responsables politiques peu scrupuleux du droit des populations locales et se traduisent par l’expulsion de leurs terres de petits paysans usant d’un droit coutumier ancestral, mais non reconnu officiellement et surtout non respecté par certains groupes industriels peu scrupuleux.

La convoitise des groupes industriels et des gouvernements étrangers pour les richesses de l’Afrique est un fait qui semble inéluctable. Son impact sur le développement du continent dépendra de la manière dont les gouvernements africains appréhendent le phénomène. Le pouvoir est entre leurs mains et c’est à eux qu’il revient d’imposer des conditions d’exploitations contrôlées de leurs réserves naturelles, dans les conditions d’un développement durable respectueux de l’environnement et dans l’intérêt de la société civile. Cela est possible car l’appétit du monde pour les ressources naturelles minérales et biologiques, dont l’Afrique détient la majeure partie, ne fera qu’augmenter et que ceux qui contrôlent le « robinet » de l’accès à ces ressources peuvent se permettre de tout exiger.

L’engouement du Brésil et des grands pays émergents pour l’Afrique renforce la compétition déjà établie entre les pays occidentaux pour l’accès à ses ressources et la conquête de ses marchés de consommation. Cet affrontement silencieux signe un changement de paradigme dont l’un des premiers effets est le renforcement de la courroie de transmission de l’économie mondiale vers l’Afrique.
Il appartient aux gouvernements africains de tirer profit de cette escalade des intérêts que leurs portent les dirigeants d’un nombre croissant de pays pour diversifier le nombre de leurs partenaires économiques et exiger un transfert de technologies de ces « partenaires ». Cela leur permettra de progressivement rapatrier sur leurs territoires les chaines industrielles créatrices de valeur à partir des matières premières extraites de leurs sous-sols ou produites sur leurs terres.
Cette reprise de contrôle des chaines de valeur issues des productions domestiques devrait permettre, à terme, d’évoluer vers des conditions de production durables, plus respectueuses de l’environnement et servant les intérêts des travailleurs locaux.

Les gouvernements africains détiennent les clés d’un développement durable de leurs territoires: celles de l’accès à leurs mines et à leurs champs. La planète en dépendra bientôt largement pour se nourrir, rouler et voler.


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