Pour
sortir de cette situation injuste, certains commentateurs estiment que
la loi “devrait rajouter le bricolage” parmi les exceptions à
l’obligation de fermeture dominicale des commerces, au même titre que le
jardinage. Mais cette façon de procéder ne fait que... bricoler des
lois mal faites en leur ajoutant des exceptions bancales. Allons au delà
du cas Bricorama: ce sont tous les magasins qui devraient être
autorisés à ouvrir le dimanche, selon les souhaits de leurs
propriétaires. Ce n'est pas à l'état de décider qui a le droit ou pas le droit d'ouvrir selon des critères abscons et pour le moins peu transparents. Analysons plus en détail les implications de l'ouverture dominicale des commerces.
Les bénéfices de l'ouverture dominicale
Les
bénéfices économiques de l’ouverture généralisée des commerces le
dimanche seraient indiscutables, quand bien même cela n'est pas intuitif
de prime abord. Les sceptiques affirment que l’extension des plages
d’ouverture ne créera pas de demande supplémentaire, et que le chiffre
d’affaire des magasins, réparti sur plus de jours, fragilisera les
petits commerces, incapables de rémunérer plus de force de vente pour un
volume d’affaires identique.
C’est
oublier que la valeur ajoutée des commerces réside autant dans les
produits qu’ils vendent que dans leur capacité à les mettre à la
disposition des acheteurs. Autrement dit, la mise à disposition
elle-même crée une valeur à la quelle les consommateurs sont sensibles.
Sans quoi, pourquoi ne pas ouvrir les magasins seulement sur trois ou
quatre jours, puisque le chiffre d’affaires serait soi disant insensible
à la durée d’ouverture des magasins ?
Le
surcroît de valeur créée par l’ouverture dominicale présente l’intérêt
de ne pas requérir d’investissement complémentaire en surfaces de ventes
: de même qu’une usine tournant en trois-huit rentabilise mieux ses
équipements qu’une autre qui ne fonctionne que huit heures par jour,
rentabiliser une installation commerciale sur 7 jours au lieu de 6
permet de réduire certains coûts fixes liés à l’acte de vente. Il en
résulte que les commerçants concernés, sous réserve que leur offre
trouve preneur, peuvent distribuer plus de revenus soit à leurs salariés
existants sous forme d’heures supplémentaires, soit à de nouveaux
salariés intéressés par le travail en week-end, tels que les étudiants,
par exemple, qui voient là autant d’opportunités d’améliorer leur
pouvoir d’achat, lequel ira à son tour irriguer l’économie.
Des acheteurs en meilleure position vis à vis des vendeurs
Si
gagner 16% de temps d’ouverture passera pour un gain “faible” du point
de vue des vendeurs, l’ouverture dominicale constitue en revanche un
gain bien plus important pour les acheteurs. Du point de vue d'une
personne travaillant du lundi au vendredi, et disposant donc d'un temps
théorique de 2h par jour de semaine, et de 12 heures le samedi, pour
effectuer ses achats, soit 22 au total, le fait d'ajouter une plage
d'ouverture de 12 heures le dimanche augmente son temps "de chalandise"
de plus de 50 % (34 heures au lieu de 22). Pour nombre de ménages, voilà
qui crée une sérieuse opportunité pour pouvoir optimiser les achats en
fonction des goûts et du budget. Si le terme n'avait été réduit à sa
connotation financière, on pourrait parler "d'augmentation du pouvoir
d'achat", au sens de “pouvoir mieux acheter”.
Comme
dans tout processus de réallocation de ressources, les ménages
profitant de l'aubaine achèteront mieux, détournant une part de leur
budget de consommation vers des producteurs plus efficaces, et les
ressources qu'ils économiseront de ce fait pourront leur permettre
d'envisager des achats ou de l'épargne qu'ils n'auraient pu espérer
sinon. L’ouverture dominicale, du point des vue des consommateurs que
nous sommes tous, est indiscutablement un choix gagnant.
Ceci dit, il convient de mettre en face de ces gains les objections courantes qui sont opposées à l’ouverture dominicale.
“Cela va tuer le petit commerce”
Affirmer
que le petit commerce souffrira de sa moindre capacité à s’adapter
contre les grandes surfaces est abusif : les petits commerces qui ont
survécu aux grandes surfaces sont ceux qui ont su démarquer leur offre
de celles des hypers. Beaucoup de ces petits commerces ont d’ailleurs
migré dans les allées des galeries commerciales de ces grandes surfaces,
offrant à nombre de salariés des opportunités d’emploi qui n’auraient
pas été possibles sans cela : ces commerces là ont tout intérêt à
l’ouverture dominicale.
Certains
affirment que les commerces de centre ville pâtiront de cette
concurrence des grandes galeries périphériques : c’est déjà le cas dans
de nombreuse villes, et il faut sans doute en chercher les causes dans
l’affligeante stagnation des revenus disponibles après taxes que connaît
notre pays, ou dans les politiques autophobes menées par nombre de
municipalités – No parking, no business… Ainsi,
à Paris, l'économiste Rémy Prud'homme a publié des travaux montrant les
conséquences des politiques autophobes de l'équipe Delanoë sur la
vitalité de l'économie locale (PDF).
Accuser systématiquement la concurrence des grandes surfaces d’être le
seul problème que vite le petit commerce est un moyen pour les politiciens de détourner
l’attention de leurs choix politiques les plus discutables (un autre exemple plus anecdotique chez H16).
Bien au contraire, de nombreux économistes (comme Cahuc et Zylberberg, cités ici)
ont montré que le petit commerce tire mieux son épingle du jeu dans
les zones où la concurrence entre grandes surfaces fait baisser les
prix, puisque les ménages ont plus d’argent à consacrer au “commerce de
niche”. Malheureusement, les lois Raffarin et Galland de la fin des
années 90, s’ajoutant aux lois Royer des années 70, ont cassé cette
dynamique, augmentant les marges des distributeurs établis, empêchant
les nouveaux entrants de s’installer, et par conséquent, réduisant la
part du budget des familles pour les achats moins “standardisés”. Une
réouverture de la concurrence entre grandes surfaces redonnerait donc
largement au petit commerce le bol d’air qui lui permettrait de négocier
le virage de l’ouverture dominicale avec sérénité.
“Cela va faire monter les prix”
Il
existe un risque que certains commerces soient enclins à augmenter
leurs prix, tout simplement parce que leurs coûts variables
augmenteraient plus vite que leurs coûts fixes ne diminueraient du fait
de l'allongement des durées d'utilisation des locaux : il faut bien
payer le personnel qui travaille le dimanche ! De fait, le travail
dominical, dans certains pays (Canada, Suède, Pays Bas), s'est révélé
légèrement inflationniste au début, avant que la nouvelle concurrence
générée par la redistribution des cartes ne force les choses à revenir
dans l'ordre.
Dans
ce cas, il conviendra pour les magasins de savoir si leurs clients sont
prêts à payer plus cher pour pouvoir faire leurs achats à un moment qui
leur convient plutôt mieux, et de moduler leurs horaires en fonction de
leurs analyses. Puis la concurrence, si elle existe, les forcera à
trouver les moyens de ne pas faire supporter la facture à leurs clients,
en augmentant leur productivité. Toutefois, les limitations actuelles
de cette concurrence (cf. Plus haut) pourraient réduire cet avantage à
néant. L’ouverture dominicale sera d’autant plus efficace qu’elle
s’inscrira dans un cadre concurrentiel amélioré.
“Cela va transformer les employés des commerces en esclaves”
Ceci
dit, les arguments de nature sociale de certains opposants au texte ne
sont pas à négliger. Il est évident que même en intégrant des garde-fous
à un éventuel texte de loi, une partie des salariés travaillant le
dimanche le fera contrainte et forcée par la peur d’être mal vue de sa
hiérarchie et d’en souffrir professionnellement, quand elle ne subira
pas “d’amicales pressions” pour accepter des horaires très flexibles.
Mais ces comportements d’employeurs peu respectueux des contraintes de leurs salariés existent déjà en semaine. Le
risque de voir ces comportements étendus au dimanche doit-il servir de
prétexte à empêcher le travail dominical sur une base volontaire ? Les
peurs des uns doivent elles brider les opportunités des milliers
d’autres qui seraient heureux de trouver un job de fin de semaine ?
Certainement pas.
Le
meilleur moyen de lutte contre les quelques employeurs aux tendances
esclavagistes est de créer les conditions d’un marché du travail
dynamique, dans lequel les salariés s’estimant mal traités ont
l’opportunité de voter avec leurs pieds en changeant facilement
d’emploi.
Malgré
leurs difficultés actuelles, les économies anglo-saxonnes ont su plus
que la nôtre développer une culture du respect mutuel entre employeurs
et salariés, parce qu’il est plus difficile pour un mauvais patron de
conserver ses employés. L’ouverture dominicale, à elle seule, ne saurait
suffire à créer une telle dynamique. Mais en augmentant le besoin de
main d’œuvre dans les commerces, elle participera au développement de
nouvelles opportunités d’emplois qui permettront d’améliorer la position
des salariés par rapport à leurs employeurs.
“Et mon jour de foot ? Et mon jour du seigneur ?”
Enfin,
certains arguent que l'ouverture dominicale sonnerait le glas de
nombreuses activités familiales actuellement fortement concentrées sur
le dimanche. Outre que cela ne devrait pas être perçu comme un problème
si cela résulte de libres choix des familles –
Mais nos élus sont tellement habitués à vouloir faire notre bonheur
malgré nous que l'on ne s'étonne plus d'une telle rhétorique
-- l'argument est d'une insigne faiblesse: en étendant la plage
accessible aux ménages pour le shopping, l'ouverture dominicale permet
aux ménages qui le souhaitent de redistribuer sur d'autres jours de la
semaine des activités actuellement plus concentrées sur le dimanche. La
liberté crée des opportunités, elle n'en supprime pas.
La
question du culte relève clairement de cette logique. Rien
n'empêcherait une église de s'adapter aux évolutions des populations et
de répartir ses activités sur d'autres plages. Si le poids de la
tradition religieuse l'empêche d'accomplir une telle réforme, tant pis
pour elle. L'immense majorité de non pratiquants que compte le pays n'a
pas à supporter des contraintes législatives imposées par quelque groupe
religieux que ce soit, et ce débat dépasse très largement le cadre du
seul travail dominical !
“Et ailleurs ?”
D'une
façon générale, le gain économique du travail dominical est réel mais
pas spectaculaire. C'est plutôt un petit pas dans une bonne direction.
Mais un petit pas statistique n'en reste pas moins une grande bouffée
d'oxygène pour ceux qui peuvent améliorer leurs revenus ou leur
condition salariale de cette façon.
Les études exhaustives du phénomène en Europe sont relativement difficiles à trouver. Citons deux exemples.
En
1996, les Pays-Bas ont laissé les municipalités décider d'autoriser ou
non l'ouverture du dimanche. La mesure, analysée 10 ans après par le
ministère néerlandais de l'économie (Dijgraf Gradus, 2005),
a été jugée favorable à la croissance, et aucune cannibalisation
réellement significative des commerces des zones fermées par les zones
ouvertes n'a été observée.
Une étude Allemande portant sur les disparités réglementaires géographiques et dans le temps (Kirchner – Painter, 1999),
montre qu'économiquement parlant, les meilleurs résultats sont atteints
lorsque commerçants et salariés sont libres de négocier l'ouverture
dominicale sur des bases contractuelles individualisées. Toutefois,
lorsque politiquement, une telle liberté est difficile à faire voter, la
décentralisation au niveau des aires communales de la réglementation de
l'ouverture dominicale donne tout de même de bons résultats, car la
souplesse permise alors permet aux communes de s'adapter aux évolutions
de leur électorat, et d’évaluer la pertinence de leurs décisions à
l'aune des performances des collectivités voisines ou plus lointaines.
Et si l'on décentralisait ce type de décisions ?
Ces
deux exemples du nord de l'Europe nous montrent qu'à défaut d'unicité
territoriale de la loi, de bons résultats peuvent être obtenus en
laissant chaque collectivité locale décider démocratiquement ce qui lui
conviendra le mieux.
Même
si une libéralisation générale du droit de l'ouverture dominicale
serait la meilleure solution, car plus respectueuse des libertés de
travailler et d'entreprendre, un pis-aller, en cas d'opposition
politique incontournable de notre parlement, consisterait à mettre en
concurrence les collectivités et de leur laisser décider localement de
la réglementation applicable, pour que les bonnes expériences puissent a
la longue s'imposer.
Une
telle méthode dans la réforme est évidemment contraire à notre
tradition jacobine ultra-centralisatrice. Pourtant, cela serait une
bonne occasion de jeter les bases d'une décentralisation bien plus importante des décisions de politique économique et sociale,
ce qui constituerait sans doute un moyen de faire sauter bien des
blocages qui minent encore la société française, faute de pouvoir faire
accepter nationalement une évolution très libérale de notre cadre
législatif.
La
question du travail dominicale aurait été un excellent thème pour
expérimenter une véritable concrétisation du mouvement de
décentralisation commencé en 1982 avec de bons principes mais hélas bien mal réalisé dans les faits.
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Lire également :
La grande distribution, un atout pour le petit commerce
Décentraliser les politiques sociales, une nécessité
Mes lecteurs les plus anciens auront noté que j’ai largement recyclé un ancien article traitant du même sujet
en l’adaptant au contexte actuel. C’est tout le problème d’avoir écrit
sur à peu près tout: se renouveler est difficile ! Alors je ressuscite
de vieux écrits au gré de l’actualité, en les retouchant à peine.
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