Diantre, que cette grisaille sinistre qui couve au-dessus de
nos têtes depuis deux semaines est déprimante. De quoi plomber un moral déjà
bien attaqué par des arrivages de Noël incessants, des centaines de colis
monstrueux qui épuisent vos petits libraires. Heureusement, la balance cosmique
fait son boulot, et en ce moment, après plusieurs jours de stress, de fatigue
et de traînage de pied, je commence à retrouver mon enthousiasme d’antan. Ce grâce
à mes projets personnels et professionnels top secrets (oui j’ai des projets
pro top secrets moi, c’est Guixxx triple XXX n’oubliez pas) qui prennent enfin
forme.
Et puis je m’abreuve de lecture, ça change les idées, et c’est
toujours agréable. On devrait envisager des recherches sur les propriétés thérapeutiques
du livre papier, si ce n’est pas déjà fait. De plus je reçois enfin les romans
envoyés en avant-première que j’ai demandé le mois dernier par les maisons d’éditions
spécialisées en littératures de l’imaginaire. Ma pile à lire prend alors des
allures de Tour de Pise à côté de mon lit, mais je n’en ai cure, même si je
mets vingt ans à les lires, je les liraiiiiii. Hm.
J’ai donc sauté sur l’occasion lorsque la maison d’édition
La Volte m’a envoyé son dernier ovni en date : Descendre en marche, de Jeff Noon. J’ai même eu l’opportunité
de déjeuner avec l’éditeur et quelques autres libraires parisiens pour parler
du phénomène, ce qui était fort fort intéressant. Pour ceux qui suivent assidûment ce blog (ils sont peu, et je vous pardonne de ne pas trop traîner dans le coin
ces temps-ci vu que mes chroniques sont aussi sporadiques que la calvitie de
Jason Statham), j’avais déjà parlé de cette maison un peu particulière de
littératures de l’imaginaire lors de mes billets sur Le Déchronologue de Stéphane Beauverger et Elliot du néant de David Calvo. Elle est particulière parce qu’elle
a été fondée par une bande d’amis qui voulaient juste pouvoir éditer un roman
qui est aujourd’hui considéré comme un pilier de la SF française : La Horde du contrevent d’Alain Damasio
(j’entends déjà quelques têtes connues pousser des glapissements de joie rien
qu’en lisant ce nom et repenser avec douceur et tendresse à leur lecture de ce
roman…). Ils ont ensuite décidé de se faire plaisir et d’éditer des œuvres
tellement foutraques et originales que personnes d’autre n’aurait eu le cran de
les éditer. C’est ce qui fait le charme de La Volte, sa ligne délirante éditoriale,
innovante et de qualité.
Bon alors Descendre en
marche qu’est-ce-que-donc-que-ça ?
Ben justement, c’est original, délirant, et surtout de
qualité. Mais n’allons pas trop vite, je vais d’abord vous éclairer avec
quelques mots sur l’histoire, pour vous allécher.
A son tour, l’Angleterre est ravagée par la maladie. Ceux
qui sont touchés ont du mal à rester lucides et ne comprennent plus les
informations à leur disposition. Le bruit parasite tout, ils ne sont plus
capables de lire un panneau, ni même un livre, la musique est distordue, les
aiguilles d’une montre leur échappent, et les miroirs ne leur rendent plus leur
propre reflet. Le monde est dans le flou et sombre petit à petit dans le chaos.
Alors Marlène, ancienne journaliste qui a perdu sa fille dans les premiers
temps de la maladie, décide de tenir un journal pour consigner tout ce qui se
passe dans sa vie, même si une fois écrit elle n’est plus capable de le lire.
Touchée par la maladie, elle prend ses cachets de Lucy (lucidité) tous les
jours, ainsi que de ses deux compagnons de voyage, Peacock et Henderson, un
couple étrange rencontré en chemin au hasard de sa mission. Car au volant de sa
voiture déglinguée, Marlène et ses comparses sillonnent l’Angleterre avec un
but précis que leur a donné un mystérieux commanditeur : ils doivent retrouver
les fragments d’un miroir brisé, un miroir pourvu d’étranges propriétés (un
miroir magique ?), qui serait peut-être la solution à la maladie qui les ravage.
Science-fiction ou pas ? Telle est la question. Dit
comme ça, le livre ressemble au savant mélange entre un road-novel (le titre - Falling
out of cars en langue originale - fait
référence au voyage en voiture de Marlène du début jusqu’à la fin du roman) et
un récit post-apocalyptique (une terre ravagée par une épidémie, le pays
sombre dans le chaos).
Mais, après lecture, on ne sait plus où le situer. Il ne
cadre dans aucun genre. Tout le roman est en dents de scie, tantôt poétique et
cotonneux, tantôt brutal, réaliste et mélancolique, selon les périodes de crises
et de lucidité de la narratrice, Marlène. Elle semble être la plus touchée des
personnages de l’histoire. Au fil de son journal, on voit son cas s’aggraver,
la maladie étendre son emprise alors qu’elle-même se laisse de plus en plus
aller à ses divagations.
Les chutes qu’elle fait dans la maladie nous entraînent dans
des chapitres complètement hallucinés, nous perdent complètement, nous plongent
dans une réalité où l’on ne sait pas ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.
Aussi, chaque élément « fantastique » ou « magique » qui
semble arriver aux personnages pourrait tout aussi bien être le fruit de la
folie qui commence à les ronger. Et puis, cette histoire de miroir magique pose
des interrogations. Visiblement passionné par l’œuvre de Lewis Carroll, Jeff Noon fait de nombreuses fois références à De l’autre côté du miroir, allant même jusqu’à inventer un dernier chapitre au roman. Quel est alors le lien entre le
miroir de Jeff Noon et celui d’Alice ? Mais faut-il vraiment chercher une
explication à cet endroit, ou est-ce seulement un hommage ? Un hommage
certainement, pour le reste, à vous de décider, de décoder la langue de Jeff
Noon et le récit qu’il nous fait.
Et la langue de Jeff Noon est à la fois simple et ardue. Pas
vraiment de mots compliqués ni de tournures de phrases alambiquées, c’est assez
dépouillé… sauf lorsque la maladie frappe à nouveaux, les dialogues se teintent
d’absurdité, se délitent, les conversations tournent court, les mots manquent,
puis se bousculent, s’entrechoquent, se répètent, puis repartent… de quoi
déstabiliser le lecteur, lui donner l’impression d’être dans des montagnes
russes.
Vous l’aurez compris, c’est une lecture tout de même
exigeante. Lecteurs un peu frileux cherchant de la légèreté s’abstenir. Mais
lecteurs en quête d’expérience littéraire, de lecture originale et inattendue,
soyez les bienvenus. Lire Descendre en
marche est totalement désorientant, vous balade dans des délires
schizophréniques. Pour ma part je ne cherche pas à creuser plus loin ni à
trouver des explications aux questions qui nous assaillent lors de
lectures et celles qui restent en suspend après l’avoir terminé, je n’ai jamais
prétendue être très douée pour décortiquer un texte et en trouver le sens
caché. Je me suis simplement laissée porter dans ce délire de science-fiction
hors norme, sachant apprécier l’exercice de l’auteur. Il laisse un souvenir assez
dérangeant, plein de beauté et de noirceur, et en sortir est comme s’éveiller d’un
cauchemar – ou d’un rêve ? – particulièrement profond.
Couv' anglaise
Pour ceux qui aiment ce genre de roman, à l’écriture
incontrôlable et à l’intrigue déjantée, je vous conseille de vous tourner vers
les autres œuvres de Jeff Noon, aussi publiées chez La Volte. Il est considéré
en Angleterre, son pays d’origine, comme l’un des auteurs les plus talentueux de
science-fiction et fantastique. Son œuvre semble être toujours empreinte de
celle de Lewis Carroll, avec qui il partage l’amour pour le non-sens et un
imaginaire déglingué. N’en ayant pas lu d’autre, je vais me pencher sur le
sujet. J’ai embarqué le titre Vurt
après mon déjeuner avec l’éditeur cette semaine, le résumé me fait envie et il
semblerait qu’il soit moins dramatique que Descendre en marche, plus loufoque,
comme je les aime !