Ce week-end Paris s’offrait sous ses facettes les plus insolites, dans le cadre de Paris Face Cachée. L’occasion de découvrir la capitale autrement au gré de balades, de visites de lieux habituellement fermés au public et autres activités originales. Accessibles à tous, pour y participer il suffisait de s’inscrire aux manifestations que l’on souhaitait sur le site internet.
Pour ma part le programme était bien rempli, et cela m’a donné l’occasion en plus de découvrir des recoins insoupçonnés de Paris, de rencontrer des gens sympathiques qui comme moi, venaient participer à l’événement, des commerçants passionnés, des organismes originaux (associations, agences etc…). Beaucoup de personnes venaient spécialement de province et consacraient ainsi le week-end aux visites.
Des lieux inhabituels
J’ai commencé avec la visite de la Phonogalerie à quelques pas de la Place Pigalle, un endroit où le temps s’est arrêté et où l’on part à la seule perception du son sur les traces de l’invention de la machine parlante. Le propriétaire des lieux est si passionné qu’il serait possible de l’écouter des heures durant.
(voir l’article « la machine parlante« )
L’usine d’eau non potable d’Austerlitz est ornée de la fontaine de l’artiste franco-chinois Zhen Chen, appelée « Danse du dragon »
Ses murs ne s’ouvrent pas souvent au public, mais son activité est très intéressante et permet de nous sensibiliser aux problématiques de l’Eau de Paris.
Un parisien consomme aujourd’hui environ 120 litres d’eau par jour, mais d’où vient cette eau ? C’est toute la mission d’Eau de Paris, cette entreprise publique qui entre autres, protège, capte, achemine, traite et distribue l’eau pour les parisiens comme le montre efficacement la vidéo suivante :
Nous nous trouvons ainsi dans une usine d’eau non potable (l’eau potable est soumise à des mesures de sécurité trop strictes pour pouvoir tolérer la présence de visiteurs). Nous avons compris que l’eau qui s’y trouve vient à la fois de la Seine qui se trouve à quelques mètres, et de l’usine de la Villette qui pompe l’eau du Canal de l’Ourcq de laquelle elle est acheminée de façon gravitaire (c’est-à-dire par un aqueduc qui suit la pente, la Villette étant plus en hauteur qu’Austerlitz). Cette eau est destinée par exemple au nettoyage des égouts, ou à l’alimentation des bassins dans les parcs (on peut penser à la cascade des Buttes Chaumont notamment), ou à l’arrosage des espaces verts. Le traitement qui y est effectué est le filtrage des déchets (troncs d’arbres, canettes, ou même poissons) dans des tamis, puis l’eau est acheminée vers les réservoirs de Paris (Ménilmontant, Belleville ou Montsouris) pour remplir les bouches de nettoyage destinées à la propreté des rues. Dans l’usine, nous le voyons tout le réseau de tuyaux est dédoublé de manière à ce que le flux soit ininterrompu. En cas de besoin, Austerlitz peut faire remonter de l’eau de la Seine à la Villette (si l’eau du Canal ne peut être pompée), et si la Seine est polluée, l’eau de l’Ourcq pourra être acheminée vers l’usine d’Ivry où elle sera traitée pour devenir potable.
La visite très bien organisée est encadrée par une guide passionnée et le chef de l’usine lui-même. Nous pénétrons alors dans les bureaux de contrôle, qui sont la salle des machines, où nous voyons effectivement le dédoublement des appareils. Puis nous nous introduisons dans le cœur de l’usine. Nous voyons les 3 bâches (piscines d’eau) et tout le réseau de tuyaux dont les 2 couleurs indiquent leur destination. Pendant notre visite, l’usine fonctionne, nous l’entendons à la rumeur constante qui nous accompagne, et nous voyons même les tamis à l’œuvre.
La visite de l’Usine de Saint-Ouen a été rendue très vivante par une troupe de théâtre résidant dans les lieux et volontairement « cachée » pour le moment. Guidés par les comédiens, dans l’actuelle maison de la culture, Main d’Oeuvre, qui abrite des artistes divers et organise tous les ans à la fin du mois de Janvier un festival appelé le Mo’fo.
Ancien pavillon d’hiver de Charles V, le lieu devient ensuite une usine de fabrication de plaquettes de freins. Les comédiens sont les fantômes des lieux, Charles notre guide, nous conduit avec son serviteur et le régisseur des lieux dans les différentes salles, où nous rencontrons d’anciens ouvriers ou des salariés de l’entreprise Valéo, qui avait installé un de ses sites en ces lieux. Réflexion sur la vie et son prix, nous sommes impliqués dans l’histoire, alpagués par les comédiens qui nous enjoignent à prendre conscience de la préciosité de notre existence.
Ça bouge à Montreuil
Je continue avec ma ville…
La découverte des locaux d’Ici Montreuil, dans le cadre de « La création dans tous ses états » a été riche et a ouvert de belles perspectives. Incubateur de création, l’objectif est de recréer une sorte d’usine de fabrication. Les locaux prennent place sur une ancienne usine, et comprennent un espace de co-working avec de multiples talents, une galerie et des ateliers de création : bijoux, métaux, bois, fab lab avec ces imprimantes 3D qui crée des objets en plastique étonnants. Nous y croisons des plasticiens et des créatrices de bijoux.
Ils nous présentent leur travail à mesure qu’ils le réalisent. La galerie qui a ouvert en octobre présente le travail des résidents notamment, comme l’artiste Cyclop, et les artistes Alex, Seyb et Manyak qui ont aussi réalisé l’impressionnante fresque dans le hall d’entrée. Un collectif à suivre et des expos à voir donc à la galerie.
Enfin la visite street art de la rue du Sergent Bobillot, connue historiquement pour ses ateliers de cinéma, devenus Studio Albatros, et aussi pour la fresque « Etre ange » de l’artiste Artof Popof, en compagnie d’Artof Popof lui-même accompagné de Mister Ema, m’a passionnée. Voir les graffitis et avoir les commentaires des artistes était juste génial.
Commençant par brosser un rapide contexte historique, décrivant les mouvements et influences, nous avons pu observer les graffitis du terrain vague avec les commentaires des artistes, notant les traits droits et bien carrés puis la dynamique de la signature de Vision, un artiste de Montreuil, les lettres plus bubble, les influences des B Boys, ou des BD américaines. On retrace le parcours de John un américain venu en France, et de bien d’autres. Tous deux ont des anecdotes et complètent chacun le discours de l’autre. La France semble avoir fait la synthèse de la création fourmillante et colorée qui résidait en Espagne, et la structure très carrée des graffitis venus d’Allemagne. Il y a eu un temps aussi où outre sa signature on a voulu créer des décors, une atmosphère. Le graffiti est une expression immédiate et physique où l’artiste brave l’interdit et s’exprime avec son corps pour faire sortir un style massif, un dessin immense. Le terrain vague est comme un book, on y fait ses classes, on laisse sa trace. On s’expose au fait que le dessin peut être recouvert par un autre plus ou moins vite. Au fil du temps, on met au point sa technique, son style, en le déformant, le poussant de plus de en plus dans ses retranchements. Un moment donné on « trouve ses lettres », l’épaisseur du trait et sa « patte » qui devient identifiable par les gens. Montreuil est une ville qui encourage cet art de rue, qui « donne » les murs aux artistes et permet plus que d’autres l’expression. Les artistes à Montreuil sont nombreux et les graffs très riches.
Dans les anciens studios de cinéma Pathé, qui sont devenus les studios Albatros dans la rue, le travail reprend. Popof nous explique qu’il insuffle l’achèvement du mur, pour l’été qui s’annonce. Il invite des artistes à venir déposer un univers, pour rappeler l’âme du lieu. Il nous présente les différents artistes, et le projet de création qu’il a en tête. A l’autre bout du mur, il reste ses ailes d’ange, présentes depuis 2005, véritable point de repère pour les habitants, le seul qui n’ait pas été recouvert.
Les artistes de rue continuent à œuvrer dans la rue, ou se reconvertissent dans l’art ou ailleurs. Certains exposent dans des galeries, ou s’adonnent à des performances lors d’événements. Et cet art est de plus en plus reconnu. Certains habitants ici à Montreuil demandent la création de fresques aux artistes notamment. Pour les graffeurs il est important de s’imprégner dans sa ville, de mettre ses quartiers à l’honneur, d’y laisser ses couleurs.
Le graffiti apparait alors comme un lien entre l’humain et la ville, comme une introduction de la couleur et de l’imaginaire dans un espace réel et quotidien.
Des balades hors du commun
Si Paris est connu pour ses monuments ou son architecture, c’était l’occasion de découvrir la capitale sous toutes ses coutures.
La balade nocturne Paris criminel et mystérieux a donné le ton très rapidement. Du Louvre au quartier Saint Michel en passant par Notre-Dame ou l’ancienne Vallée de la Misère derrière l’Eglise Saint Germain l’Auxerrois, nous avons découvert des légendes et des histoires vraies les plus sordides en imaginant Paris au fil des époques. Je n’en citerai que quelques unes. Notre guide très dynamique nous a ainsi entrainés sur les traces de Jean l’Ecorcheur, propriétaire des abattoirs sur lesquels a été bâti le Palais des Tuileries. Assassiné pour ne pas qu’il se mette en travers de la construction, il est apparu à des personnalités telles que Marie Antoinette, Henri IV, ou Napoléon Bonaparte avant des faits marquants, comme une sonnette d’alarme. Nous apercevons ensuite la bibliothèque Mazarine de l’autre côté de la Seine.
C’est l’ancienne Tour de Nesles qui fut le théâtre d’une affaire d’adultère au 14ème siècle. Philippe le Bel marie 3 de ses fils à 3 jeunes filles. Deux sœurs et une cousine. Deux d’entre elles prennent des amants, qui seront exécutés dans d’atroces conditions, les deux femmes sont emprisonnées et la légende dit que Jeanne qui n’a pas été autant infidèle est enfermée dans la Tour de Nesles. Elle s’adonne alors à toutes sortes d’aventures, et pour ne pas être découverte, elle se débarrasse du corps de ses amants en les précipitant du haut de la Tour. Seul un homme appelé Buridan en échappe en plaçant en dessous une barque remplie de foin.
Plus loin, près de l’église Saint Germain l’Auxerrois, nous écoutons l’histoire glaçante de 26 disparitions de jeunes hommes de bonnes familles, qui commencent à inquiéter la ville en 1641. Le commissaire de police envoie son fils en appât pour comprendre ce qu’il y trame. Le jeune homme remarque alors une jolie jeune femme présentée par sa gouvernante comme la princesse polonaise Jabirowska. Celle-ci lui donne rendez-vous dans le quartier mal famé, derrière l’église, et il découvre dans son appartement des têtes humaines… Alertant son père et la brigade, ceux-ci démantèlent ce réseau de trafic de corps acheminé à l’université de médecine en Allemagne, et les têtes étaient destinées à des études de phrénologie (science des crânes).
Organisée par Curiocités, ces balades de quartiers sont très sympas, et elles existent aussi par thématiques (Paris au Cinéma, Paris Illustré etc…).
Très différente, la balade « le 20ème dans tous ses états » a suivi l’axe de la rue de Bagnolet en nous entrainant dans le quartier historique mais aussi très actuel, pour être accueillis par des commerçants très sympathiques ou pour découvrir des lieux méconnus comme le jardin naturel ou l’impasse Gaudin. Notre guide dont la bonne humeur était contagieuse, a emmené notre groupe bien nombreux de l’ancien Château de Bagnolet, qui fut construit XVIIe siècle pour Marie de Bourbon-Condé (1606-1692), princesse de Carignan. Il fut ensuite acquis par le Duc d’Orléans et devint la résidence préférée de la Duchesse (fille de Louis XIV et de la marquise de Montespan. Elle s’y adonnait à toutes sortes de folie. Elle demanda que soit construit un accès autre planté d’ormes, que celui qui donne sur la rue de Bagnolet, qu’elle appela la Rue Madame, désormais devenue la Rue des Orteaux.
L’église Saint Germain de Charonne, actuellement en travaux de restauration, est classée. Elle date du 12ème siècle et fut construite après que Saint Germain, évêque d’Auxerre, vit Sainte Geneviève. Il bâtit alors un petit oratoire. L’église présente des styles architecturaux caractéristiques de plusieurs siècles du Moyen-âge. C’est aussi la seule église de Paris avec Montmartre à avoir encore son cimetière à côté. Elle domine la rue Saint Blaise, vestige du village dont elle était issue. Quartier populaire du 19ème siècle, cette rue du village de Charonne a conservé son âme, et a ensuite été annexé en 1860 par Paris.
Nous y découvrons la boutique de chapeaux Panama de Marina « Ecua-Andino ». Celle-ci a ouvert sa boutique spécialement pour l’occasion et nous explique la fabrication de ces chapeaux si élégants qui viennent de l’Equateur. Ils sont tissés avec des branches/ feuilles d’un palmier, plus ou moins finement pour arriver lorsque les fibres sont très fines, à un résultat proche du tissu. Nous découvrons aussi le jardin naturel de la rue de la Réunion où la Nature reprend ses droits ou l’ancienne gare de la Petite Ceinture, devenue aujourd’hui la salle de concerts de la Flèche d’or.
Nous terminons dans la Chocolaterie de Laurence, Ô mille et une fèves. Elle accueille notre groupe bien nombreux dans sa petite boutique où elle fait tout elle-même avec de très bons ingrédients. Simplicité et qualité sont ses maitres mots. Nous goutons toutes sortes de tablettes brisées, c’est-à-dire très fines, faites de fèves de tous pays. Les alliances sont exquises, et l’équilibre des saveurs surprend.
Cette balade est organisée par l’association Paris par Rue Méconnues qui fait visiter Paris tous les week-ends avec une grande passion et une belle énergie.
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