Encore un retour du Festival de Cannes 2012 avec cette Ivresse de l’argent réalisée par un Im Sang-soo dont on sait qu’il n’est pas avare de mauvais mots sur la classe sociale dirigeante sud-coréenne. Ce dernier projet ne change pas la donne.
Les premières images sont fortes et significatives. De l’argent, de l’argent et encore de l’argent. Une pièce fermée, compacte et sans aération Voici les principaux motifs qui vont innerver le film et lui donner une identité forte. L’argent va être de partout, autant de manière concrète que de façon plus subtile et elle ne va jamais, mais alors jamais, sortir, et faire sortir les personnages, du lieu. Elle est au cœur des discussions, des décors et des comportements passés, présents et futurs. Le cinéaste a bien compris le mal qui ronge toute une partie de la Corée du Sud. L’Ivresse de l’argent se veut être perçu avant tout comme une plongée dans un milieu complètement déconnecté du reste de la société. L’une des premières choses qui choque dans la construction du métrage, c’est que cette famille se met tellement sur un piédestal que les scènes extérieures ne seront que trop rares. Le réalisateur préfère, à raison, se concentrer sur cette maison bourgeoise et moderne qui enferme les protagonistes dans leur condition. De plus, si la caméra ne prend pas le temps d’aller dehors, elle ne peut même pas prendre le temps d’y jeter un coup d’oeil. Les fenêtres n’ouvrent que sur d’autres pièces, les caméras de surveillance ne regardent pas dehors mais dedans. Le lieu est clos sur lui-même, les échappatoires sont aux abonnés absents. Le constat est terrible et les conséquences qui en découlent ne le sont pas moins. On s’en doute, tout cela ne va pas bien se terminer. Elément malin, l’étouffement est valable autant pour le personnage que pour le spectateur qui ne peut alors que se rendre compte de l’atmosphère irrespirable et donc forcément vicieuse qui plombe la famille. Ce parti pris se révèle assez puissant même si quelque peu prévisible. Néanmoins, il a le mérite d’être cohérent. Dans une volonté de rendre le propos encore plus fort, Im Sang-soo cherche à doubler l’enfermement. Plus que l’espace qui est rongé par cette ivresse, c’est le mental qui apparaît lui-aussi complètement gargarisé. Les discussions oscillent toujours entre magouilles pour ne pas que le fils turbulent ne fasse tomber l’empire familiale, stratégies économiques afin de faire un maximum de profits et vacuités personnelles où le sexe est omniprésent. En un mot, tout tourne autour de leur monde et rien ne pourra les perturber. Bien entendu, le changement ne sera jamais à l’ordre du jour. Celui-ci pourrait mettre à mal leur place dans les hiérarchies sociale et économique et, surtout, ne rentrerait pas dans le propos dénonciateur. En ce sens, l’écriture s’avère maligne. Le psychologique et le physique, l’abstrait et le concret se mélangent, se croisent et se décroisent comme pour mieux condamner les protagonistes. Détail amusant, le sexe, d’ailleurs, apparaît comme un nerf de la guerre supplémentaire et à double tranchant. Il est celui par qui les petites faiblesses sont convoquées. Il permet ainsi d’embobiner, de piéger certaines personnes qui ne rentreraient pas dans le rang de cette famille. Néanmoins, il ne garde pas toujours cette vocation trop simpliste. Il est aussi celui par qui peut naitre une réelle relation. Les sentiments, chose dont la majorité des membres semble dépourvue, peuvent apparaître. Ils ne sont, malheureusement, pas les bienvenus et le cinéaste le sait.
Comme une once d’humanité peut-elle venir d’une telle mise en scène ? Classieuse au possible, la réalisation d’Im Sang-soo se fait plaisir avec les cadres et les travellings pour mieux représenter la froideur du lieu et des personnes qui l’habitent. Elle rend hommage à la puissance d’un décor qui est parfaitement utilisé. Mieux encore, il existe des petites touches de détail qui sont généralement bien senties, notamment lors des scènes de repas et autres petites collations. Elles ne prennent pas de place mais investissent de manière convaincante l’image. Pourtant, malgré cette conscience cinématographique de départ, la réalisation va vite poser un problème. En effet, petit à petit, une question se pose : ne serait-elle pas finalement trop bourgeoise ? Bien entendu, dans une optique totalement contraire, une caméra prise à l’épaule, histoire de rentrer dans le lard, n’aurait pas été la meilleure des solutions mais le spectateur peut se sentir gêner par la quasi-perfection des images. Derrière la maestria, il se cache surtout une illusion, celle de faire croire qu’elle a été pensée de manière sérieuse. Ce n’est, hélas, pas ici le cas – même si le début nous faisait penser le contraire – tant elle se retourne contre elle-même. La beauté ne fait pas toujours sens et L’Ivresse de l’argent vient le prouver. Le cinéaste, en fait, flatte l’oeil plus que le cerveau. A force de vouloir constamment éblouir en lieu et place de faire réfléchir, la réalisation tiendrait de la complaisance. Dans un langage familier, on dirait « qu’il se la pète sévère ». Trop beau pour être vrai, tout simplement. La chose est dérangeante, pour ne pas dire détestable, pour un objet censé démonter la classe supérieure. Au lieu de cela, il l’accompagne. Le cinéaste fait le vieux bourgeois en rêvant de ce qu’il est censé détester, en montrant de manière déraisonnable sa puissance. Ce n’est plus l’ivresse de l’argent mais l’ivresse du cinéma qui se joue sur l’écran. Accompagnant ce postulat, les stricte scènes qui se veulent choquantes, et qui tournent forcément autour du sexe, n’arrivent pas à éclater. Au mieux, elles vont choquer ceux qui n’ont pas vu une représentation sexuelle depuis au moins une cinquantaine d’année. Quels sont réellement leurs objectifs et leurs places dans le métrage si elles ne parviennent pas à remplir le contrat initial ? La réponse est claire : à rien, même pas à flatter les bas instincts du spectateur. Quant à faire réfléchir sur leur contenu, on repassera tant elles sont gratuites. Im Sang-soo ne choque plus que lui-même. C’est triste mais c’est bel et bien l’attitude d’une personne qui est déconnecté d’avec son temps et qui ne cherche pas à évoluer. Le réalisateur est fermé sur lui-même, tout comme ses personnages qu’il veut critiquer. Pire encore, quand ce n’est pas la mise en scène, ce sont quelques points trop précis pour ne pas être notés qui font tiquer. Ils tournent autour d’une seule thématique : l’auto-référence. Anecdote rigolote, Quentin Tarantino s’y est essayé avec son Django Unchained il y a peu de temps. Mais pour le coup, ici, le cinéaste a raté son coup. Rien de ludique dans la démarche, ces moments veulent surtout flatter l’ego du réalisateur. Ces choix ne respirent clairement pas la simplicité. Cela va apparaître même déplacée comme démarche compte tenu de la thématique initiale. Et le spectateur de se poser une question : L’Ivresse de l’argent est-il un film honnête et sincère ? Cette interrogation plane tout au long d’un métrage qui donne l’impression de se manger la queue. La forme d’une mise en scène problématique est constamment rejointe par le fond, à savoir l’identité propre de son instigateur qui ne sait plus, au fond de lui-même, sur quel pied danser et, surtout qui il est est. On tombe en pleine schizophrénie.
La faute en revient surtout à une construction qui ne peut pas libérer cette mise en scène même si le réalisateur a ses tares dans ses volontés purement graphiques. Il est vrai que le scénario ne l’aide pas. L’Ivresse de l’argent tente à un moment de se débarrasser de son statut de constat pour aller vers des directions différentes. Histoire d’amour, thriller, les deux genres sont convoqués mais, hélas, de manière beaucoup trop caricaturale et lisse. Le réalisateur n’ose pas plonger dans les changements. Quelques séquences arrivent mais comme un cheveu dans la soupe. N’ayant pas de grande cause au départ, elles sont ensuite totalement désincarnés à cause d’une absence de conséquence. Un tel rapport n’est pourtant pas une panacée, surtout dans la construction d’une scène au cinéma. C’est peut-être même la base d’une fiction cohérente. Au lieu de faire monter la tension et la pression, ces moments donnent un côté somme toute risible à l’entreprise de L’Ivresse de l’argent. Quand ce n’est pas l’écriture dans sa globalité qui pêche, ce sont les constructions plus précises propres à chacun – ou certain – qui déjouent. Les changements, quand il y en a, n’arrivent que par deux ou trois personnages qui prennent, certes, une identité de figure mais qui sentent à plein nez le réchauffé. Le majordome qui se rebelle envers ses patrons, la fille qui se met en porte-à-faux de sa mère, les deux qui tombent amoureux, comme par enchantement. Les clichés sont de sortie et le spectateur aurait pu être en droit de se voir proposer quelque chose de plus originale à la vue de la prétention affichée par L’Ivresse de l’argent. Le métrage se retrouve alors bancal et, surtout, perd le fil de sa puissance évocatrice. Au bout d’un temps, la sentence arrive : le spectateur peut commencer à en avoir marre de cette famille bourgeoise. Un ennui poli, quand ce n’est pas de l’énervement suite aux nombreux défauts qui s’accumulent, vient alors draper le métrage. Pire encore, Im Sang-soo ne recule devant rien et ose une fin qui n’est pas loin d’être dégueulasse où les jeunes et beaux riches vont sauver les petits et malheureux pauvres. Il est vrai que le spectateur peut y déceler, dans un sens, une certaine ironie envers ses personnages clairement pathétiques mais comment ne pas voir également une tentative de rachat coûte que coûte des protagonistes sous la seule excuse qu’ils ont compris le sens du monde dans lequel il vivait. Plus rien de pathétique mais une belle dose de cynisme contamine le métraget. Cette posture est bien trop facile car ce grand-écart permet au réalisateur de ne pas donner un réel point de vue. Il se dédouane, fait preuve d’un manque absolue de courage de peur de choquer la classe dirigeante et, peut-être de se faire exclure par les siens. Le spectateur se retrouve alors devant le même principe qui irriguait la stricte mise en scène. Im Sang-soo est en train de devenir un grand bourgeois. Alors, oui, c’est sans aucun doute un peu fort d’exprimer une telle diatribe sur le réalisateur mais force est de constater qu’il donne le bâton pour se faire battre tant on a clairement l’impression d’un immense foutage de gueule au fur et à mesure de la progression du film.
L’Ivresse de l’argent partait bien et termine mal. Intéressant par certains points, malvenu par d’autres, le métrage est constamment entre deux chaises. A force de trop vouloir en dire, il finit par ne plus rien exprimer. Et à devenir insignifiant.