« Mes fils, ces trois bâtards »
Si après avoir vibré langoureusement au son des XX et avoir éclaté de rire à la vue de Pauline Détective (cf. précédents billets), vous ressentez comme un besoin de revenir à des choses un peu plus sérieuses, vous pouvez réserver votre place pour le Retour, pièce de Pinter mise en scène par Luc Bondy à l’Odéon.
Le tout nouveau directeur du Théâtre de l’Europe commence fort avec ce tableau familial qu’on pourrait comparer à ceux d’Edward Hopper (à voir en ce moment au Grand Palais soit dit en passant) : couleurs profondes mais froides, personnages dépendants les uns des autres mais complètement désolidarisés. Parce qu’il n’est pas reposant de passer une soirée dans cette maison où le père tyran détruit un peu de tout, où les fils comme l’oncle vaquent à leurs occupations sans vraiment combler le néant, où rien ne se passe vraiment. Jusqu’au retour du 3ème fils, accompagné de sa femme. Qui sera bien vite considérée et transformée sans grande résistance en putain. Pas si surprenant quand on pense que la mère – aujourd’hui absente, n’est évoquée que comme telle. Tout est alors en place pour donner à voir les ignominies amenées par la quête du pouvoir sur l’autre, du côté masculin comme féminin. Violence des mots, sexualité des corps, tous les moyens de domination sont bons, et provoquent d’inquiétantes jubilations.
Une famille cruelle et bizarre dans une atmosphère oppressante et glauque : la charge de Luc Bondy était lourde pour faire malgré tout sentir l’humour irrésistiblement grinçant de Pinter, et pour rendre l’obscène visible sans en faire preuve. Et malgré un rythme parfois pesant, il s’en sort plutôt bien. Dans l’expectative un long moment, on s’enfonce peu à peu et chaque fois plus dans le sordide, mais sans que jamais cela en ait l’air. Les sombres desseins se cachent derrière le coloré puissant de la scénographie, l’absurde amusant du grand fils, la dédramatisation permanente dans l’interprétation. C’est très finement mené, donc, et l’on n’en reçoit que mieux l’aberration finale. Chaque personnalité quelque peu détraquée, bien campée par les pointures en présence (Bruno Ganz, Pascal Greggory, Louis Garrel, Micha Lescot…) ouvre son monde solitaire, et on plonge. Le plus grand regret restera les moments où Emmanuelle Seignier se repose sur l’intensité de sa présence, et elle n’est pas la seule.
Dérangeante, sidérante, la guerre sourde qui se mène sans merci dans Le retour laisse quoiqu’il en soit sans voix. Bienvenue dans l’avènement des monstres.
Du 18 octobre au 23 décembre 2012 à 20h.
Théâtre de l’Odéon. Places à partir de 6 €.