Jacques Julliard a changé d'église : parti du Nouvel Obs, il est venu pontifier chez Marianne.
Cet éditorialiste termine son couplet d'hier avec un appel à réformer le marché du travail :
"Il y a un effet un paradoxe dans les positions du conservatisme de gauche. Elles reposent en définitive sur une croyance aveugle dans les vertus de la croissance à un moment où, à défaut de réformes sociales, la croissance n'est plus automatiquement génératrice d'emplois."
Pour mémoire, la croissance française en moyenne depuis 2008 est inférieure à 1%. Jacques Julliard ne peut donc dire que la croissance n'est pas génératrice d'emplois, car en réalité il n'y a pas de croissance. Son raisonnement est parfaitement tautologique : la croissance ne crée plus d'emplois car il n'y a pas de flexibilité et vice-versa.
Quelle mouche a piqué ce brave homme pour qu'il conclue sa page hebdomadaire par une telle ânerie ?
Les élites françaises de gauche non conservatrices (la France de gauche qui gagne) ont en réalité décidé que l'Union européenne et l'euro étaient notre avenir.
Il est donc interdit d'imaginer que l'absence de croissance puisse être imputable à l'euro (cf. pourtant l'analyse de Nouriel Roubini , un des macroéconomistes les plus en vue du moment, sur les ravages de l'euro en Grèce ; ravages qui affectent également l'économie française à une moindre échelle comme je l'avais indiqué dans un article précédent.)
Voilà pourquoi, en gros, quand ça ne marche pas en France, c'est la faute à la gauche conservatrice qui n'a rien compris, tandis que la gauche qui gagne nous trace brillamment la route vers des lendemains qui chantent :
Que Vincent Peillon réforme les rythmes scolaires sans avoir le moindre euro pour financer des activités extrascolaires dignes, ce qui ne trompe personne, les instits qui trient le signal d'alarme sont décrits comme des conservateurs (cf. la lettre d'un instituteur twittée par André Gunthert).
Que Goodyear ferme un site à Amiens et c'est la faute à la CGT.
Que quelques voix trouvent à redire aux accords sociaux récents, et Julliard s'élève contre les résistances à la flexibilisation du marché du travail (on remarque au passage que la gauche moderne de 2013 fonctionne au carburant intellectuel du RPR de 1986).
Déjà, en 1977, le RPR n'aimait pas les grincheux.
Je ne cherche pas qu'à égratigner la gauche dynamique et européenne qui a les faveurs de Julliard. Il y a pléthore de groupes qui ont décrété que l'urgence du moment c'est la séparation des activités bancaires de marché et des activités de spéculation, ou la lutte contre les "spéculateurs", ou le tirage au sort, ou la réduction du temps de travail.
Je crains fort que si l'euro continue à tuer la croissance, tous ces débats parfois intéressants n'aient qu'un rapport très lointain avec l'urgence du moment. Mais je constate, et Julliard n'en est qu'un exemple, nombreux sont les volontaires pour inviter les électeurs à regarder ailleurs.