Tragique, horrible vie. Je ne veux plus écrire, le souvenir est déjà trop. Automatisme de mes gestes, sentiment de ma propre mort: que ma vie s'achève au plus vite. /…/ Le sort tragique a ignoré mon désir, mes espoirs les plus virils et les plus sincères; il m'a laissé là, à souffrir pour Lui [Enrico, le frère], à souffrir pour moi, dans un monde désormais blafard, dans une société envers laquelle je n'éprouve que du mépris. /…/ Au lieu de diminuer, mes souffrances croissent en nombre et en intensité; ma rage contre des quantités de choses et mes soucis augmentent; mes espérances ont disparu. On ne vit pas comme ça, on ne peut pas vivre. [ ... ] Il ne reste plus rien, hors le visage de la mort, que je voudrais proche et libératrice. /…/ Cette famille que j'ai adorée à une certaine époque, j'en ai par-dessus la tête, je sens que les liens les plus chers se dissolvent, qu'un destin maudit veut [ ... ] faire de moi un homme commun, vulgaire, rustre, bestial, bourgeois, traître avec lui-même, italien, adapté au milieu. /…/ Je ne noterai plus rien, puisque rien en moi n'est digne de souvenir, même à mes propres yeux. Ainsi s'achève ce journal. Milan, 31 décembre 1919. 22 heures. A la maison.