Deux écrivains qui s’écrivent, déjà, l’attente d’une vivacité du verbe y est. Alors imaginez deux pittoresques écrivains, Pierre Samson et Bertrand Laverdure, abhorrant l’ennui, qui s’écrivent, on s’attend à l’exaltation. Je le fus, exaltée, sans l’ombre d’un doute. Effort de concentration aidant, mon esprit est monté vers les sphères vertigineuses des mots, lancés haut par des acrobates de la langue, pour que je les regarde tomber en plein dans le mil.
Ils se sont donnés comme mission, guidé par l'éditrice, d'échanger sur le milieu littéraire. Ce fameux milieu, d’où s’élance la gauche et la droite sera arpenté par ces funambules, de long en large et de haut en bas.
Lettres crues est de l’épistolaire dans son sens de correspondance. Parce qu'on classe également dans le genre épistolaire, les lettres à sens unique où l'on devine les réponses. Déjà que c’est ardu de lire entre les lignes que dire de lire entre les lettres ! Je préfère, ô combien, la correspondance de ces escrimeurs qui prennent des poses, ma foi, assez dramatiques. Une joute oratoire où les épées cliquettent, s’échappent, s’élancent, visent à côté, pointent la carapace, et l’atteint. Chaque lettre vaut son pesant d’élocution mais c’est encore l’échange qui m’a tenue captive.
Le ton est grandiloquent, enfin, c’est celui que je leur ai prêté, surtout pour les quatre cinquième du livre. Les lettres du cinquième prennent un ton différent, plus naturel, plus confidentiel. On baisse un peu les armes. Ce qui pourra être perçu comme un essoufflement, je l’ai abordé bien autrement. Ça m’a même fait penser à ce lieu commun, après avoir sorti le méchant dans une rixe de bon aloi, l’étreinte vient sans qu’on la réclame.
Tout au long de la correspondance, Pierre Samson est en résidence d’écriture à Tokyo, ville dont il nous parle, comme toujours, avec un sens critique aiguisé, la correspondance s’étendant sur quelques mois, vers la fin, son séjour en résidence s’achève. Il se pose des questions sur son avenir. Est-ce cette préoccupation, mais j’ai retrouvé un être humain derrière ce pamphlétaire à tout crin. Malgré sa faconde jamais démentie, un visage se découvre sous le masque grimaçant. Si j’avais une critique, malgré le plaisir que j’ai pris à ma lecture principalement pour l'admiration de ces virtuoses de la langue, c’est ma lassitude devant le convenu des répliques de Pierre Samson. À force d’arroser tout aliment d’épices piquantes, la saveur du mets s’en trouve noyée. S’use l’ironie à force d’en user. Samson a une intelligence rare pour manier cette substance corrosive : l’ironie. Il en a abusé.
Bertrand Laverdure, sans lui retirer de son esprit corrosif et imaginatif, m’a semblé jouer un rôle de modérateur en égard aux excès de son correspondant. Il a un franc-parler, les infimes nuances sont sa spécialité. Il se pose tellement de questions sur ce métier qu’il a choisi très jeune, il a pris le temps de réfléchir à sa vocation, ce que l'on constate avec bonheur. Il y aurait de quoi ouvrir un séminaire sur le sens du travail de l’écrivain dans notre monde d’aujourd’hui, pré-requis : la lecture de Lettres crues. Les questions sont soulevées, des réponses sont proposées, la discussion s’ouvrirait, sur un ton moins plaintif, c'est à espérer. Car tous n'ont pas la verve pour le porter !
Un essai épistolaire de haut calibre, comme il s’en fait peu. Il aurait pu s’écrire avec la plume, pour le bec acérée qui pointe, jusqu’à trouer le papier.
Bilan en chiffres :
243 auteurs sont nommés (la majorité critiqués !) - index à la fin
54 lettres titrées (assez loufoques !)
Période d'avril à novembre 2011
379 pages en petit caractère