L'avis d'Emmanuel
Récit de voyageSi je me retourne pour contempler d'un œil honnête ma carrière de lecteur, je ne peux que constater l'important retentissement qu'à eu et continue d'avoir ma participation à l'aventure BdB sur mes choix de lecture. J'ai en effet exclusivement choisi mes livres jusqu'à récemment sur des critères fortement personnels et subjectifs, pour ne pas dire intuitifs. Un titre qui sonne, un pitch qui claque, une couverture qui chatoie, un auteur qui intrigue... Quoique je n'aie pas vraiment abandonné cet éclectisme illuminé (sans quoi je n'aurais jamais lu Op Oloop, Bestiaire ou encore La Fée aux Miettes pour ne citer que quelques découvertes récentes) force est de constater que ma qualité de chroniqueur régulier sur le BdB m'a forcé à élargir un peu mes vues, à m'intéresser plus souvent aux livres « à la mode », à lire des romans que j'avais jusque là pensé ne jamais ouvrir et à côtoyer des auteurs que je souhaitais ne jamais connaître. Cela à souvent eu du bon, que ce soit pour moi (Feuilleton, Scintillation de John Burnside) ou pour notre fréquentation (La délicatesse de David Foenkinos), mais a aussi, bien souvent, confirmé mes réticences initiales (Parle leur debatailles, de roi et d'éléphants de Mathias Enard, La Bénédiction inattendue de Yoko Ogawa ou Moon Palace de Paul Auster). J'aime cependant à croire que les expériences de lecture désagréables ont du bon, qu'elles forment notre goût de lecteur, alimentent notre esprit critique, nous permettent de rayer de la carte de nos contrées littéraires celle que nous ne souhaiterons pas revisiter comme nous avons marqué d'un trait doré les frontières de celles dans lesquelles nous retournerons bientôt. Alors je persévère... Et entre régulièrement en territoire hostile. Cette semaine, celui du roman français à succès contemporain.
Pour faire un RFSC il faut
- de beaux sentiments : de l'amour avant tout, idéalement impossible (le décès imminent ou acté de l'un ou l'autre des protagonistes est bienvenu), mais il est probable qu'une amitié puissante (ou impossible !) puisse également faire l'affaire.
- un texte rythmé et fluide : phrases longues mais chantantes, comparaisons sucrées ou métaphores prosaïques, tournures humoristiques et familières, chapitres courts, dialogues nombreux, monologues retranscrits, retournements de situation bien placés...
- prendre le lecteur par l'épaule : lui parler comme à un ami de toujours, lui faire croire qu'on le connaît comme personne, l’interpeller directement, lui adresser des petites plaisanteries privées, prendre de la distance par rapport à l'histoire que l'on écrit pour paraître se rapprocher de celui qui la lit...
- de l'humour, toujours de l'humour : surtout pour parler de ce qui est le plus sérieux. La vie est si triste, autant rire de ce qui devrait faire pleurer, ça donne l'impression que l'on sait relativiser, que l'on comprend tellement mieux le monde que les autres....
- ne pas hésiter enfin à saupoudrer le tout d'une petite touche personnelle, pour paraître sortir du lot. Ce sera, au choix de chacun : ambiance policière pour l'un, note encyclopédique pour l'autre, relent paranormal pour le troisième, côté manuel de développement personnel pour le dernier. Rien de sérieux et profond toutefois. Seulement quelques fioritures pour rehausser l'emballage.
« L'amour conjugal est un poisson plein d'arêtes, pensait Gaspard. Pas comestible, une illusion, un mirage, oui, mais tellement sublime ; un résumé de la beauté du monde pour ainsi dire.Le manque d'entrain de Camille l'accablait. Ah, le mariage... Vous aviez une maîtresse, elle met des rideaux à vos fenêtres, et la voilà devenue « de maison ». Quelle Berezina ! »Et Le Zèbre dans tout ça ?Le Zèbre, c'est Gaspard Sauvage (sic), un notaire de Province qui sous ses airs débonnaires, cache le cœur le plus aimant du monde. Un cœur qui ne saurait d'ailleurs se satisfaire du platonisme relatif vers lequel s'acheminent de nombreuses relations conjugales après quelques années de mariage. Alors Gaspard décide de restaurer dans la vie qu'il partage avec Camille tout le piquant dont elle recelait dans leur jeunesse. Il a pour cela recours aux artifices les plus inventifs et étonnants, pour ne pas dire loufoques. Ce que Camille (qui pose d'emblée un gros problème au lecteur tant sa fadeur relative lui fait se demander pourquoi Gaspard se donne tant de mal) vit plutôt mal. Entre les tentations d'une aventure extra-conjugale avec l'un de ses élèves ( ! ) et l'exaspération que suscitent chez elle les frasques de son exubérant époux, il faut bien avouer qu'elle mène la vie dure aux transports du notaire éperdu d'amour. Pauvre Camille ! Si elle savait ce que lui réserve l'avenir. Si elle pouvait imaginer combien elle regretterait bientôt ce manque d'entrain... Pourquoi ? Mais voyons, cher lecteur, je ne m'appelle pas Alexandre Jardin, mais ce serait me croire bien effronté que d'imaginer que je pourrais te le dire. Pour savoir, il faudra lire... Ou pas. Et telle est la teneur de la conclusion de cette chronique !
A lire ou pas ?Et voilà, malgré l'état d'esprit ouvert et positif avec lequel j'ai abordé la rédaction de cette critique, je me rends compte que je n'ai pu m'empêcher de la teinter de cynisme. Pourtant je n'ai pas détesté Le Zèbre. Du moins pas comme j'ai détesté La délicatesse de Foenkinos ou Les témoins de la Mariée de van Cauwelaert (que je ne critiquerai pas sur le BdB car, l'ayant trouvé sur mon lieu de vacances, je l'ai quitté sans avoir le temps de le finir. Une bonne chose à n'en pas douter pour les problèmes d'acouphènes de ce cher Didier). Je l'ai trouvé caricatural certes, invraisemblable, un peu niais, mais en même temps assez touchant, tant Jardin semble faire d'efforts pour « écrire joliment » cette histoire à laquelle il parait vraiment croire, quand ses homologues sus-cités n'essaient même pas de faire semblant. Alors je ne peux pas vraiment conseiller la lecture du Zèbre... Mais je pense que dans un moment d'égarement, une période de vacances cérébrale, ou un élan fleur-bleue... ses rayures auront peut-être pour vous quelque chose d'émouvant.
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