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"Cherokee" de Jean Echenoz

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Seul sur le bitume, les pieds dans l’eau. En allant acheter le pain beaucoup trop loin de chez moi, je passe devant mon libraire, heureuse coïncidence. Après quelques minutes à lire goulument les nouvelles têtes de gondoles brocardées d’un avis sur papier canson, je prends une grande décision, la plus importante de l’après-midi. Je décide de demander au commerçant un livre, en lui précisant mes goûts. Mouais, ok, non puis vient la présentation de Jean Echenoz. Pas une biographie, merci, même si c’est très drôle. Parfait oui, ce livre que vous n’arrivez pas à me résumer. Sympa les éditions de minuit, merci au-revoir. En retard sur la lecture du livre du mois, tentant ce magazine, une page de « Cherokee ». Bouchée simple, l’ouvrage est court. Et voilà que je traîne, que je saccade, que je gratte ou que je réfléchis. Rencontre de fin de semaine en perspective…
L’avis de JB :
Suivez le dahu blanc
Auteur plutôt méconnu, pas tant que ça, Médicis puis Goncourt et une grosse dizaine d’ouvrages au compteur. Parcourez la toile en quête d’avis sur l’auteur, et vous retrouverez toujours à peu près le même retour. Les histoires d’Echenoz sont souvent abracadabrantesques et difficile à suivre. On le lit pour la qualité de sa plume, pas pour voyager assis sur son fauteuil ou fondre en larme sous sa couette. Force est de constater que ce constat est vrai.
Vous faire un sage résumé de l’intrigue me parait impossible. Disons simplement qu’il s’agit d’un ouvrage à multi-chemin entre le roman noir, un film d’Audiard, un livre de Balzac et Benny Hill.  Georges Chave s’est fait volé un de ses disques fétiches « Cherokee », il y a une dizaines d’années. Il a depuis rencontré l’amour, la chaleur des bars et une société de détectives dont il devenu l’employeur. Il est dépêché pour retrouver une espèce rare de perroquet qui pourrait finalement posséder certaines clefs d’une enquête plus étendue.  Les personnages rentrent et sortent dans une furieuse zizanie, les enquêtes grossissent se rapprochent et se rejettent, on oublie et l’on se souvient, déboussolé mais pas complètement perdu. Tout le monde court après tout le monde, rien ne se recoupe franchement ou pour mieux se subdiviser à nouveau, à la manière d’un film de Guy Ritchie sans dénouement.
Une très jolie plume
Au-delà du récit finalement assez anecdotique, la plume d’Echenoz sait se faire bistouri ou pinceau, au gré de son envie. Du cynisme, de l’humour, de (très) belles descriptions mais finalement assez peu de sentiments, de ressentis ou de sous-entendus. Le style est tranchant, précis, presque froid et l’on aurait tort de penser que le loufoque de l’ensemble tient plus de l’improvisation que du talent. Parce que l’auteur sait écrire et il le fait très bien. Il manie beaucoup de choses en équilibre précaire, figures de style, éléments de langage ou tempo de la phrase, sans faire tomber la moindre consonne. Il n’est pas rare de tomber sur une très belle phrase définitive comme je les aime :
 « Sur l'autoroute, à cette heure-ci, il n'y avait que des quinze-tonnes lancés à toute allure dans leur cortège classique de cuir, de tabac, de laine, de sueur et de gasoil et aussi quelques voitures particulières menées à toute allure par des hommes seuls, ivres et désespérés. »
De  passer ensuite à une très courte affirmation du type :
« Le perroquet Morgan était âgé d'une soixantaine d'années, ce qui correspond en gros, à l'échelle humaine, à une soixantaine d'années. »
Pour finir sur un deux adjectifs à googliser :  
«Des réverbères dans lesquels gravitaient des colonies browniennes d'insectes phototrophes.»
Echenoz propose, le lecteur dispose. Le travail littéraire est fait, l’impressionnant château de cartes vacille mais ne se rend pas. Les rassurants parallèles, dont je suis moi-même friand, d’autres se sont chargés de savamment les énumérer pour nous. Queneau évidemment et d’autres que vous pourrez découvrir en parcourant sa page Wikipédia, un brin pompeuse à mon goût.
Cela a fonctionné pour moi, d’autres même s’ils ont reconnu la qualité du travail et de l’écriture, ne sont pas entrés dedans. La multitude des outils utilisés par l’auteur ne doit pas vous faire penser qu’il a cherché à contenter tout le monde. « Cherokee » tient peut-être un peu de l’œuvre artistique où l’on ressent (ou pas) de l’émotion sans la commander.
A lire ou pas ?
A découvrir. Une vraie curiosité d’un auteur qui n’écrit pas différemment pour se donner de la contenance mais parce qu’il le fait bien. Malgré ma réticence première, que ceux qui ont lu l’une des biographies me fassent part de leur avis, je pourrais presque me laisser tenter…
PS 1 : Une chronique de Bernard Pivot sur le dernier livre de l’auteur :
http://www.lejdd.fr/Chroniques/Bernard-Pivot/Jean-Echenoz-grand-rescape-de-la-Grande-Guerre-chronique-de-Bernad-Pivot-562132
PS 2 : D’autres avis, qui en parlent finalement mieux que moi :
http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=1629
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