« Une force puissante se dégage du cortège. Rien ne semble pouvoir l’arrêter. Ceux qui tombent sont remplacés. Le chariot d’Alexandre roule lentement, mais il est fort, porté par des centaines de voix qui le clament, le chantent et le gémissent. Le monde entier les regarde passer en pensant qu’en ces heures où les empires vacillent, il est une chose qui reste solide, aussi solide que la puissance des montagnes, c’est le chant des femmes endeuillées. »
Alexandre le Grand va mal. Il sent qu’il va bientôt rendre son dernier souffle. Et pourtant, personne autour de lui ne semble le remarquer…
C’est sur cette idée que commence le dernier roman de Laurent Gaudé intitulé Pour Seul cortège. S’inscrivant dans la lignée de son très beau récit La Mort du roi Tsongor, l’écrivain renoue avec le thème de la mort d’un puissant. Alexandre a régné d’une main de fer sur son empire mais sitôt son déclin physique commencé, les généraux affluent pour tenter de mettre la main sur le pouvoir.
Plusieurs thèmes sont abordés dans le roman qui peuvent être résumés par le motif du conflit.
Le conflit est d’abord celui qui oppose les généraux, avides de gloire, se lançant dans une guerre sanguinaire pour tenter d’égaler celui qui fut leur prédécesseur. Mais c’est aussi du conflit, plus subtil, entre les aspirations personnelles et la loyauté politique dont il est question. Dryptéis, belle-soeur d’Alexandre, veuve d’Héphaïstion (le plus proche des compagnons d’Alexandre), se voit confier une mission qu’elle ne peut pas refuser par fidélité à la mémoire du roi de Macédoine, mais qui la contraint pourtant à renoncer à l’être auquel elle tient le plus : son fils.
Le roman est construit comme un double itinéraire : celui de Dryptéis et d’Ericléops, le fidèle messager du conquérant, jusqu’à Babylone. Mais c’est surtout le lent trajet du cortège funèbre mené par les pleureuses qui occupe la majeure partie du récit.
La narration est assez complexe et est partagée entre plusieurs voix : des voix masculines (Ericléops et Alexandre principalement) et une voix féminine, celle de Dryptéis qui offre un point de vue différent ne serait-ce que par son statut de mère et par sa promesse d’accompagner le défunt jusqu’à sa dernière demeure afin que son âme repose en paix.
Lire ce roman n’est pas forcément chose aisée : la pluralité des voix et leur enchevêtrement peut rapidement perdre un lecteur distrait mais l’on est finalement assez vite emporté dans ce voyage aux confins du fantastique, entre Babylone et l’Inde.
Roman lu dans le cadre des Matches de la rentrée littéraire organisés par Priceminister.
Note proposée : 17/20
Laurent Gaudé, Pour Seul cortège, Actes Sud, Août 2012, 18 euros