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Tibet (16) Vers la nonnerie de Dorjeling

Publié le 09 avril 2008 par Argoul

Étape fastidieuse aujourd’hui. Tout d’abord, en raison d’une panne de brûleur, l’eau n’a pas bouilli suffisamment ce matin et nous sommes plusieurs à connaître des dérangements intestinaux une heure après le petit-déjeuner… Ensuite parce qu’après être monté au col en face du camp, le brouillard nous empêche de distinguer un quelconque paysage. Le Lhasar-la s’élève à 5300 m, ce qui est physiquement pénible dès potron minet. Enfin parce que l’itinéraire se poursuit sur un très long plateau sans intérêt, parmi la caillasse monotone et la tourbe, sans êtres humains, ni bêtes, ni grandes fleurs. Ennui de la grisaille, du plafond cotonneux, de la fatigue accumulée, de l’affaiblissement intestinal. Tout se conjugue pour assombrir le moral, à l’inverse d’hier où les êtres et le grand soleil suscitaient la joie et la compassion. Le haut plateau que nous traversons entre 5200 et 5000 m est une lande arctique où ne poussent que le pavot himalayen rachitique, des campanules violettes minuscules et une dizaine d’autres fleurettes rases. Nous n’avions qu’elles à regarder pour éviter aux pieds de se cogner dans les pierres. Dans les creux des roches, protégées du vent, des orties de Milarepa poussent en touffes telles des plantes à sorcières sur la lande désolée. L’ascète ancien avait en effet pour habitude de se nourrir d’orties, seules plantes endémiques sur les hauteurs où il méditait. Les peintures des temples le représentent souvent avec la peau verte pour cette raison.

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Le pique-nique est pris dans le vent qui balaye l’étendue, sur la terre pas encore dégelée de la nuit, au second col qui limite le plateau. Copa, emmental et biscottes Wasa complètent les beignets frits de légumes à la népalaise du cuisinier. Nous redescendons ensuite entre les mottes de tourbe que broutent ça et là quelques yacks velus sur les pentes. Des veaux cabriolent et se coursent comme de  vrais gamins, ce qui me remet un peu de joie au cœur. J’ai vu ici pour la première fois dans le pays de véritables grands corbeaux à l’aile luisante et au bec impressionnant. En Europe, depuis que les pendus des carrefours ne leur servent plus de nourriture, on n’en voit plus qu’à la Tour de Londres, où ils sont nourris de viande crue tous les jours. Ailleurs ils ont disparu faute de charognes à déchiqueter. Ici il y a ce qu’il faut en raison des conditions climatiques.

Nous atteignons Tarjung, centre de nomades aux constructions plus ou moins empierrées, vers 4600 m d’altitude. Les nomades que nous rencontrons ce soir demandent à écrire, tentent d’engager la conversation, malgré l’odeur de suie et de graisse de yack qui les accompagne. Bien que le Tibet « soit un pays sec » nous devons essuyer ce soir encore un gigantesque orage. Les éclairs se multiplient sur la chaîne d’en face, le tonnerre gronde, se rapproche, roule et résonne dans la vallée, la pluie se fait diluvienne. Pluie et vent ont duré toute la nuit. Au réveil le temps est gris, brumeux ; puis le vent se lève, apportant une petite pluie. Temps arctique, tourbe d’Écosse, ciel bas et vent coulis glacé.

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Soudain une antilope du Tibet (ou un daim musqué) passe en bondissant de ma droite vers ma gauche. Elle porte des cornes noires recourbées vers l’arrière, une robe beige, des fines pattes noires. Quelle grâce animale surgie brusquement dans ces hautes solitudes ! Caché dans les nuages, le Datsché veille sur nous, du haut de ses 7000 m et plus. Les taches bleu azur des pavots se nichent entre les mottes, les pétales translucides à peine chiffonnés, le cœur jaune pâle, tandis que les orties en buisson recroquevillent leurs feuilles qui n’ont même pas la force de piquer à cette altitude. Au ras de l’herbe, les éclats jaune vif des minuscules potentilles et les quelques plaques roses des gueules de loup format nain, ajoutent de la couleur. De petites boules mates éclatent sous le pied : ce sont des vesses de loup, champignons qui aiment l’humidité des prés et ne sont pas gênés par l’altitude, semble-t-il.

Un berger, comme toujours, surgit de nulle part dans ce désert, suivi de bêlements. Nous sommes à l’altitude du Mont Blanc mais la végétation y est bien plus présente, quelques touffes de luzerne poussent même dans les creux abrités du vent. La raison ? Peut-être parce que la latitude de Lhassa est celle du Caire. Nous sommes nettement plus près de l’équateur qu’à Chamonix. Véronique est dans le même état d’esprit joyeux que moi aujourd’hui puisqu’elle chante à pleine voix « le renard et la belette ». De même Michel qui raconte ses souvenirs des paysages de Norvège et du Maroc. Enseignant, il a toujours eu de longues vacances à meubler et est parti souvent seul explorer des pays lointains à peu de frais. Il n’y a que la môme Graziella qui joue les vierges folles, toujours frigorifiée, et qui harcèle Tawa pour que l’on reparte aussitôt arrêtés. Quant aux Suissesses, elles se régalent à la pause de « pâté de fruit » - je ne connaissais pas cette expression savoureuse.

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Entre les deux cols nous foulons à peu près deux kilomètres de landes désolées. Une grosse marmotte me regarde dressée sur ses pattes arrière, avant de plonger dans son trou. Nous rencontrons deux petites bergères et leur troupeau. Verena échange leur portrait photographique contre une boite d’allumettes, un savon d’hôtel et la photo(copie) du dalaï-lama hilare. C’est ensuite une descente abrupte qui éprouve les tendons des genoux, vers la rivière qui roule tumultueusement en bas. Nous devons la passer, mais aucun pont ne l’enjambe. Il faut donc trouver un gué. Je saute comme un gamin sur une grosse pierre au milieu du courant, avant de recommencer vers l’autre rive. Réussi ! Les autres ne veulent pas me suivre, cela leur paraît trop casse-cou. Seuls Maïla, le cuisinier népalais, et Tawa font de même, signe que le risque est surtout dans la tête. Un cheval passait dans le coin mené par un couple à la patte graissable. Tawa le loue donc pour faire passer les filles en croupe. Les hommes qui restent passent à gué en retirant leurs chaussures.

Un article nuancé sur le Tibet dans Questions Chine.


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