Le français est une langue précise. Les mots sont donc importants d’autant que depuis le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, des esprits vifs s'échauffent pour un rien. Surtout quand on parle d'une histoire dans laquelle une frange entière de l'humanité ne serait pas assez... entrée.
Aussi, quand le professeur émérite Catherine Coquery-Vidrovitch intitule son ouvrage Petite histoire de l'Afrique subsaharienne, la qualification « petite » va faire l’objet d’une surveillance particulière du lecteur que je suis. On pourra arguer qu’en un peu plus de 200 pages, la présentation de l’histoire des peuples subsahariens - et pour ne pas nous voiler la face, des peuples « noirs » - ne peut faire l’objet que d’une présentation sommaire quelque fut l'érudition et le sens de la synthèse de l’auteure. Introduction à l’histoire de l’Afrique subsaharienne m’aurait paru plus juste, exceptée dans le cas où la démarche de Catherine Coquery-Vidrovitch fut intentionnelle
Après un demi-siècle de travaux fondamentaux sur la question, il s'agit enfin de faire comprendre à un public français et francophone non spécialiste que non seulement l'Afrique à une histoire, mais que celle-ci, la plus longue de toutes, n'est ni moins variée ni moins prenante que les autres(...) L'enjeu est donc de n'omettre aucune phase de cette histoire, mais de le faire de façon thématique, en privilégiant systématiquement les idées qui m'apparaissent fondamentales parfois neuves.
page 7, édition La découverteJe propose une petite analyse de cet essai dans lequel l’historienne revient sur des différents épisodes de l’évolution africaine en partant de la préhistoire, en survolant l’Egypte ancienne, en décortiquant les grands empires de l’Ouest Africain par le biais des traces laissées par de nombreuses sources comme les écrits des marchands et voyageurs arabes de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance l'ethnolinguistique pour l'analyse des migrations bantoues ou par l’étude des vestiges par l’archéologie comme ce fut le cas pour le Grand Zimbabwé. Ce ne sont que des exemples.
L’enjeu de cet ouvrage est de prouver que bon gré malgré, l’Afrique a toujours été au cœur des grands échanges commerciaux. Parce que depuis l’antiquité, ses ressources matérielles et humaines ont été convoitées et elles ont toujours participé à cette globalisation qui ne date pas d’aujourd’hui. Catherine Coquery-Vidrovitch pose la question dérangeante de savoir si l'Afrique noire partage l'héritage de l'Egypte ancienne avec l'Europe, comment expliquer qu'elle n'ait pas fructifié cet héritage? Elle tente alors d'apporter une analyse pouvant justifier cela d'un point de vue socio-économique, géographique mais ausside par les agressions extérieures au continent qui ont eu un impact tant sur la démographie que l'organisation sociale des populations subsahariennes.
Le focus de Catherine Coquery-Vidrovitch cible une période précise. Celle de la longue pratique des traites des esclaves et du commerce humain, qu’ils répondent aux besoins des Amériques par la traite négrière atlantique ou encore qu’elles alimentent l’Asie avec la traite arabe. Selon l’auteure, ce commerce aurait même alimenté la Chine. Après tout, si la cour russe a recueilli Hannibal, ancêtre de Pouchkine, tout est possible.
Un des problèmes sur cette période est la dangereuse généralisation que l’historienne, en dissociant très peu les postures des différentes nations, ou pour ne pas énerver les esprits bien-pensants, les organisations sociales présentes et confrontées aux razzias. On a le sentiment en la lisant que l’Afrique fut un vaste champ de traque de la ressource humaine avec des élites consentantes. Et qu’aucune forme de résistance ne fut envisagée. Or, on pourrait identifier de nombreuses formes de résistance, si la lecture de cette histoire d’Afrique n’était pas réalisée à charge. L'historienne prend le parti pris d'ignorer ce point. Et, il me semble que si comme cela est son intention, on souhaite fournir des perspectives positives pour ce continent, tous ces aspects doivent être relevés. Un portrait juste doit fournir les tares et les points fort d'un parcours.
L’auteure a également à l’endroit de l’esclavage interne le souci de démontrer qu’il n’était nullement moins inhumain que la logique productiviste américaine ou la démarche castratrice au sens premier de l’adjectif, très répandue en Arabie, on pense au Génocide voilé de Tidiane N'Diaye… "Comme ailleurs" est la formule récurrente.
A propos des esclaves, les chercheurs sont revenus sur la distinction longtemps en vigueur (ce qui évitait de poser le problème) entre le captif local, censé connaitre une vie familiale globalement acceptable, et l'esclave de traite condamné à la vente, en Amérique ou ailleurs. Ni plus, ni moins que dans les autres sociétés prémodernes, l'esclavage ne fut inconnu en Afrique. Quoi qu'aient cru et dit les observateurs instruits par les chefs de façon souvent tendancieuse, la captivité et les souffrances des plus démunis ne furent pas moins âpres que celle des esclaves exportés.page 73, édition La Découverte
Sauf, que les pratiques productivistes et mercantiles de l’esclavage, même dans ce précis d’histoire, arrive sur le tard de la part de certains royaumes côtiers et collaborateurs qui s’adaptent au manque à gagner que représentent pour eux la fin de la traite atlantiques. On remarque même qu'elles semblent très présentes dans des espaces ou d'anciens esclaves brésiliens ou américains sont revenus. Peut-on alors parler de processus endogènes propres à des cultures africaines?
Les développements de l’historienne sur la période coloniale offrent moins de polémique, car s’appuyant sur des éléments d’appréciation moins aléatoires
Ce livre est intéressant. Il est un excellent exemple de ce qu’un manuel d’histoire peut servir une thèse visant à se dédouaner et donner bonne conscience aux descendants des négriers. Sinon, la question des traites si elle est au demeurant importante, n’aurait pas pris une telle place dans cette petite histoire de l’Afrique. Cela étant dit, tant que l’histoire sera racontée par les chasseurs… les lions n’auront qu’à l’ouvrir un jour avec objectivité et en puisant dans les ressources orales souvent très peu explorées. En faisant simplement leur boulot. Ce texte fera réfléchir tout de même plus d'un lecteur africain. Il est une opportunité pour briser une forme d'omerta sur la question des collaborations internes à la traite des esclaves de masse. Dans les Aubes écarlates, Léonora Miano émet l'hypothèse que l'Afrique est peut-être hantée par l'âme de toutes ses vies vendues et perdues lors de la traversée de l'Atlantique, et elle observe le mutisme et l'absence de monuments significatifs à la mémoire de ces fils et filles perdues du continent avec la complicité de quelques élites africaines. Dénoncer certains crimes du passé pourrait limiter leur reproduction dans le présent et le futur.
Bonne lecture.
Catherine Coquery-Vidrovitch, Petite Histoire d'Afrique : l'Afrique au sud du Sahara de la préhistoire à nos joursÉditions La Découverte, paru en 2011, 215 pages